In Paris, the Mona Bismarck American Center honors Transatlantic art

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Installée dans un hôtel particulier du XIXe siècle, cette galerie d’art est la création de la Comtesse Mona Bismarck. Mariée cinq fois, divorcée trois fois, veuve deux fois, cette grande mondaine et mécène des couturiers, a offert à l’avenue la plus américaine de Paris l’avenue de New-York, sur les bords de la Seine – un écrin pour la culture américaine à Paris. Longtemps oublié des parcours touristiques, ce lieu s’affirme depuis 2011 comme “le” repaire des arts et de la culture américaine contemporains en France, avec des concerts, performances et expositions.

Nous nous trouvons dans un vaste salon vide, au rez-de-chaussée du 34, avenue de New York, à Paris, dans le XVIe arrondissement. La lumière oblique depuis le jardin et vient éclairer, au-dessus de la cheminée, un portrait de Mona Bismarck (1897 – 1983) par Salvador Dalí. La femme se tient pieds nus sur un piédestal au milieu de ruines antiques. La perspective est baignée d’une étrange lumière verte. Seul son visage, pâle, yeux gris-bleu et sourcils arqués, irradie au sommet de la composition.

En 1943, la commanditaire a 46 ans et se nomme encore Mona Harrison. L’histoire raconte que Dalí la représenta d’abord nue ; mais, par pudeur et peut-être aussi par amour de la mode, elle exigea d’être rhabillée. L’œuvre affichée aujourd’hui est une reproduction. Le Mona Bismarck American Center a vendu l’original aux enchères, chez Sotheby’s, à Londres, début 2013. Bilan de la transaction : 2 281 250 livres sterling.  “Posséder ce tableau ne nous était pas nécessaire”, justifie Bianca Roberts, actuelle directrice exécutive. “Le Conseil d’Administration a jugé, en revanche, indispensable de s’en séparer afin de redonner un élan à notre établissement.”

Un mal pour un bien ? Depuis que la Mona Bismarck Foundation a été rebaptisée en Mona Bismarck American Center en 2012, le lieu connaît un grand renouveau. Oubliés les accrochages sur la peinture péruvienne des XVIIe et XVIIIe siècles (2004), sur l’art contemporain sri-lankais (2008) ou sur Gustave Courbet (2011). En septembre dernier, l’endroit, qui reste un des repaires culturels les plus secrets de Paris, a nommé sa toute première directrice artistique, Raina Lampkins-Fielder : “Le grand challenge pour moi est de recentrer notre mission sur les arts des Etats-Unis des XXe et XXIe siècles dans toute leur étendue, explique cette ancienne directrice associée au Whitney Museum of American Art. Etrangement, les artistes américains se situant hors de ce canal traditionnel n’ont pas droit de cité à Paris. Même Jean-Michel Basquiat, monstre sacré outre-Atlantique, n’a été révélé aux Parisiens que par la rétrospective du Musée d’Art Moderne il y a cinq ans.”

Une programmation artistique audacieuse

La saison 2015-2016 a démarré avec une installation lumineuse de l’artiste Andrea Polli, des performances de la chorégraphe Jennifer Lacey, et une table ronde dédiée à Andy Warhol en marge de la rétrospective du Musée d’Art Moderne voisin… Elle se poursuivra du 12 mars au 17 juillet avec la prometteuse exposition Wasteland : quatorze artistes contemporains de Los Angeles investiront le bâtiment sous la direction de la commissaire Shamim M. Momin, présidente et directrice artistique de la LAND (Los Angeles Nomadic Division). En vedette notamment, Lisa Anne Auerbach revisite la pop culture américaine en travaillant la photographie… comme le tricot. Math Bass, dont on a vu les œuvres au PS1 l’été dernier, invente des installations en trompe-l’œil, parfois proches du surréalisme, à grand renfort de formes géométriques. Mark Bradford invoque, lui aussi, la culture populaire américaine en incorporant dans ses toiles abstraites des éléments récupérés autour de lui. Amanda Ross-Ho puise également dans les objets aussi insolites que quotidiens (articles de presse, brochures…) et les orchestre dans des photos, peintures, installations et sculptures… Des œuvres nouvelles ont été créée pour l’occasion, certaines remaniées afin d’établir un dialogue avec le site d’exposition. L’accrochage se tiendra simultanément au Mona Bismarck American Center et dans les espaces monumentaux de la Galerie Thaddaeus Ropac, à Pantin, en région parisienne.

Mona Bismarck, comtesse de la mode et de la culture

Par le passé, Paris avait déjà eu son “American Center”. Créé dans les années 1960 à Montparnasse, celui-ci déménagea à Bercy en 1994 avant de fermer définitivement deux ans plus tard suite à des déboires financiers. Il n’en reste plus que le spectaculaire bâtiment signé Frank Gehry, occupé aujourd’hui par la Cinémathèque Française. Le repaire de l’avenue de New York promet d’occuper la place laissée vacante dans le paysage culturel parisien et d’offrir enfin aux États-Unis l’ambassade artistique qu’ils méritaient. C’est à Mona Bismarck, comtesse et “femme la plus élégante du monde” que l’on doit ce renouveau…

Flashback. En mars 1928, une jeune femme du Kentucky fait son apparition dans le Vogue américain. Mona Strader a épousé en troisièmes noces Harrison Williams présenté comme “l’homme le plus riche des États-Unis” et “le premier milliardaire du pays”. La jeune femme a déjà débuté sa vertigineuse ascension dans le monde. Les fêtes, les dîners, les bals, les opéras se succèdent. Le magazine de Condé Nast relève alors qu’elle est “une des hôtesses les plus populaires de New York et Palm Beach”. Sans parler de Paris où le couple possède déjà un appartement près de l’Arc de Triomphe.

Les photographes de mode Edward Steichen et Horst P. Horst  la courtisent. Cecil Beaton est sous le charme. Sa réussite est mise en scène sur papier glacé. On croise Mona dans les cercles de la Café Society. Nous sommes quelque part entre jet set et aristocratie. L’argent de son mari–et celui engrangé par ses deux précédents mariages–lui permet de s’offrir les plus belles toilettes. D’une seule voix, en décembre 1933, les couturiers parisiens Mainbocher, Balenciaga, Molyneux, Lanvin, Vionnet, Lelong et Chanel nomment Mona “femme la mieux habillée du monde”. On ignore si l’hommage est sincère ou s’il récompense simplement une très bonne cliente.

Trois ans plus tard, Cole Porter, ami de Mona, lui fait un nouveau clin d’œil dans une chanson de sa comédie musicale “Red, Hot and Blue” : “What do I care If Mrs. Harrison Williams is the best-dressed woman in town ?”. Aux États-Unis, on organise en 1939 “le premier sondage d’échelle nationale pour désigner les femmes les mieux habillées des États-Unis” (“the first nation-wide poll conducted to determine the best-dressed women in the United States”) : Mona Bismarck n’arrive qu’en deuxième place. L’affront est réparé l’année suivante : elle passe en pole position. Lorsque son mari meurt en octobre 1953, Mona Williamson s’éclipse de la vie sociale américaine. Sa réputation est faite. Sa fortune aussi. Les mauvaises langues racontent qu’il ne lui manque plus qu’un titre de noblesse européen.

Elle sera donc comtesse. Le 7 janvier 1955, Mona épouse Albrecht “Eddy” Graf von Bismarck, petit-fils du célèbre chancelier allemand. La grande mondaine adopte un patronyme allemand. Mona von Bismarck (on ignore pourquoi la particule “von” est aujourd’hui escamotée) quitte Manhattan pour atterrir avenue de New York, à Paris. Le hasard fait bien les choses. Au rez-de-chaussée de la bâtisse, devenue espace d’exposition et de performances, on admire encore les boiseries et les tapisseries chinoises du XIXe siècle des somptueux salons. En haut des escaliers, on reconnaît toujours la bibliothèque, mitoyenne de la chambre. Le bureau de monsieur et la salle de bain de madame, placés de part et d’autre de l’étage, ont été transformés en salles de réunion. La baignoire est condamnée par une planche peinte d’un décor bucolique mais le lavabo est encore bien là. Puis vient le grand dressing, et ses innombrables placards, qui communique avec la terrasse où la comtesse avait l’habitude de prendre le petit-déjeuner.

Eddy meurt en 1970. Les maris défilent. L’année suivante, elle épouse Umberto de Martini. L’homme lui laisse un si mauvais souvenir qu’après son décès en 1979, Mona reprend son précédent patronyme. Lors de ses propres funérailles en 1983, Mona Bismarck, donc, sera vêtue d’une robe Givenchy. Elle est enterrée auprès de ses troisième et quatrième époux, Harrison Williams et Edward von Bismarck, à Glen Cove, Long Island. Dans ses cercles d’amis et d’invités, on aura compté Kees Van Dongen, Gore Vidal, Tennessee Williams, André Malraux, Truman Capote… Mais aussi Yves Saint Laurent, Cristobal Balenciaga ou l’emblématique Diana Vreeland, rédactrice en chef de Vogue, où Mona sera apparue, au cours de sa vie, une cinquantaine de fois. Elle lègue une partie de son héritage à des amis et ses employés. Un million de dollars revient à Robert Henry Schlesinger, né son premier mariage et dont elle n’a jamais voulu s’occuper. À la fin de sa vie, elle a déjà fait don de sa prestigieuse correspondance à la Filson Historical Society de Louisville, sa ville natale du Kentucky. Sa garde-robe est offerte au Costume Institute de New York et le reste de ses ressources à la Mona Bismarck Foundation, qu’elle avait créée en 1960. Ses actifs sont alors estimés entre 22 et 30 millions de dollars.

La comtesse s’est moins illustrée par son goût pour les beaux-arts que par sa passion pour la mode. Et pourtant : “dans son testament, elle a simplement indiqué vouloir créer un lieu pour entretenir l’amitié entre les peuples français et américain à travers l’art et la culture”, rappelle Bianca Roberts. “Je crois que nous n’avons jamais été aussi proches de sa volonté.”

Mona Bismarck American Center
34, avenue de New York
75116 Paris
Tél. : 01 47 23 38 88
www.monabismarck.fr

Article publié dans le numéro de février 2016 de France-Amérique.

 

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