Du Capitole à Matignon

“Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde.” En écrivant cette phrase, Albert Camus ne pensait évidemment pas aux institutions politiques. Dans ce domaine comme dans celui de la philosophie, pourtant, chaque terme exprime une réalité précise. Même si, pour décrire cette dernière, on peut aussi donner de nouvelles significations à certains mots. Explications avec Dominique Mataillet, amoureux de la langue et chroniqueur de notre rubrique magazine “Le français tel qu’on le parle”.

Une information récente vient nous rappeler que si les Russes sont dirigés (d’une main de fer) par un président de la République ils ont aussi des députés pour voter les lois. Dans le pays de Vladimir Poutine, la chambre basse du Parlement est appelée Douma, mot qui vient du verbe doumat (penser).

En France, l’Assemblée nationale et le Sénat sont les noms respectifs de la chambre basse et de la chambre haute du Parlement. Chez les Britanniques, les institutions équivalentes sont les Communes (House of Commons) et la Chambre des Lords (House of Lords). Aux Etats-Unis, le Congrès est formé de la Chambre des représentants (House of Representatives) et du Sénat (Senate). On ne s’étonnera pas de trouver au Canada un mélange anglo-américain : le parlement comporte une chambre des Communes (House of Commons) et un Sénat (Senate).

Plus exotique pour une oreille française, Knesset veut tout simplement dire “assemblée” en hébreu. Folketing, nom du parlement danois, peut être traduit par “assemblée du peuple” et Storting, celui du Parlement norvégien, par “grand conseil”. En allemand, Bundesrat signifie “conseil fédéral”  et Bundestag “assemblée (ou diète) fédérale”.

C’est par ce mot de diète, issu du latin dies (“jour”), que l’on désigne aussi en français les deux chambres législatives japonaises, les parlements monocaméraux de la Suède (Riksdag) et de la Finlande (Eduskunta) ou encore l’assemblée nationale polonaise (Sejm). Pour clore cet inventaire très incomplet, on ne saurait oublier les fameuses Cortes Generales espagnoles, organe bicaméral réunissant un sénat (Senado) et une assemblée (Congreso de los Diputados).

Afin d’éviter les répétitions et de donner de la couleur à leurs textes, les journalistes recourent souvent à la métonymie (du grec meta, “changement”, et onoma, “nom”). Ils substituent au nom de l’institution celui du bâtiment qui l’héberge. Dans le cas français, ils remplacent Assemblée nationale par Palais-Bourbon et Sénat par Luxembourg. Pour ce qui est du Royaume-Uni, Westminster en arrive à désigner les deux chambres du Parlement, l’une et l’autre étant établies dans ce palais, tout comme, lorsqu’il s’agit des Etats-Unis, Capitole devient synonyme de Congrès.

Les sièges des présidences de la République se prêtent au même procédé de langage. Celui-ci est d’autant  plus tentant que les locataires des lieux ont beaucoup de pouvoirs. Ce qui est le cas de l’Élysée en France, de la Maison Blanche aux Etats-Unis, du Kremlin en Russie.

Ailleurs dans le monde, d’autres palais présidentiels ont pour les mêmes raisons acquis une certaine notoriété : State House à Nairobi, El Mouradia à Alger, Carthage près de Tunis, la Maison Bleue à Séoul, la Casa Rosada (la “Maison rose”) à Buenos Aires. Sans oublier La Moneda, à Santiago du Chili, où périt en 1973 Salvador Allende.

Le président italien, lui, n’a guère que des fonctions honorifiques. C’est pourquoi le Quirinal, où sont logés ses bureaux, fait beaucoup moins parler de lui. Le château de Bellevue, à Berlin, résidence officielle du chef de l’Etat allemand, est entouré de la même discrétion. On ne peut pas en dire autant de Buckingham Palace, quand bien même la reine d’Angleterre a surtout elle aussi un rôle de représentation.

Au Royaume-Uni, justement, où l’essentiel des pouvoirs est entre les mains du Premier ministre, c’est la résidence de ce dernier qui est le symbole du gouvernement. Qui ne connaît le 10 Downing Street ? De la même façon, le palais Chigi, à Rome, et le palais de La Moncloa, à Madrid, sièges respectifs de la Présidence du conseil des ministres italien et de la Présidence du gouvernement espagnol, évoquent le pouvoir exécutif de ces deux pays.

Grâce encore aux métonymies, nombre d’autres lieux nous sont devenus familiers. Comme Rideau Hall, à Ottawa, la résidence officielle du gouverneur général du Canada, ou Gracie Mansion, celle du maire de New York, située dans l’Upper East Side, au nord-est de Manhattan.

Pour revenir à la France, quelques toponymes parisiens comme Matignon, Quai d’Orsay, Place Beauvau, Bercy sont régulièrement sollicités pour désigner les principaux ministères : services du Premier ministre (en Afrique, on utilise judicieusement le terme de Primature), Affaires étrangères, Intérieur, Économie et Finances.

On a surtout parlé jusqu’ici des grands pays occidentaux. Mais les institutions d’autres nations surgissent de temps à autre dans l’actualité. Beaucoup ont appris ces derniers mois que le palais Mariyinsky, résidence officielle du président de la République, est le symbole du pouvoir ukrainien ou que Holyrood, un quartier d’Edimbourg, est celui du gouvernement de l’Ecosse. Qui sait si, un jour, l’Etat islamique ne fournira pas lui aussi ses métonymies…

Retrouvez tous les mois dans France-Amérique la chronique de Dominique Mataillet sur le langage dans la rubrique “Le français tel qu’on le parle”.