Entretien

Affaire de la Plaza : la thèse du suicide « impossible et absurde » selon l’avocat de la famille

Alors que l’enquête sur les circonstances de la mort de Hugues de la Plaza le 2 juin 2007 à San Francisco piétine toujours, deux reportages télévisés sont revenus la semaine dernière sur cette affaire. L’avocat de la famille de la Plaza, Bill Fazio, revient en détail sur les éléments d’un médecin légiste indépendant accréditant la thèse de l’homicide.

Hugues de la Plaza a-t-il été tué le 2 juin 2007 à son domicile à San Francisco ? Ou le Français de 36 ans s’est-il suicidé de trois coups de couteau ? Alors que l’enquête sur les circonstances de sa mort piétine toujours, deux reportages télévisés sont revenus la semaine dernière sur cette affaire. Suicide ou meurtre : un combat pour la vérité d’Antoine Baldassari, diffusé dimanche dernier sur France 2, a suivi les efforts de la famille de la Plaza pour faire la lumière sur les causes de la mort de Hugues. La veille, l’émission de CBS 48 Hours Mystery a exposé les arguments des enquêteurs penchant pour la thèse du suicide, et rendu publiques les conclusions d’un rapport d’un médecin légiste indépendant accréditant la thèse de l’homicide.

Alors que jusqu’ici, seuls les experts français considéraient qu’il s’agissait d’un meurtre, ce rapport commandé par la police de San Francisco au docteur Michael Ferenc établit que le citoyen français a bien été assassiné. Un diagnostic précieux pour la famille, qui continue de lutter pour que le décès de leur fils soit requalifié en meurtre par le San Francisco Police Department (SFPD). Mais les interrogations subsistent sur les raisons pour lesquelles le SFPD, qui avait reçu les conclusions du Dr Ferenc en février 2009, n’a fait état de ce rapport qu’en octobre dernier. L’avocat de la famille de la Plaza, Bill Fazio, revient en détail sur les éléments de ce rapport du Dr Ferenc qui mettent à mal la thèse du suicide.


France-Amérique : Dans l’émission 48 Hours Mystery, les enquêteurs de la police de San Francisco exposent certains éléments troublants qui pourraient laisser penser que Hugues de la Plaza se serait suicidé. Ils font par exemple état des taches de sang retrouvées dans l’appartement de Hugues, de forme ronde, comme s’il avait été calme, au lieu des taches allongées que l’on aurait pu retrouver s’il avait couru…

Bill Flazio : Les éclaboussures de sang peuvent correspondre aux deux théories. Je pense qu’il est vraiment absurde de penser que quelqu’un se poignarderait, puis marcherait dans son appartement et s’agiterait comme un poisson hors de l’eau. Il y avait du sang partout, notamment des éclaboussures de sang sur le mur derrière l’endroit où la plus importante quantité de sang a été retrouvée, ce qui correspondrait au fait que quelqu’un ait plongé un couteau dans son cou puis l’ait retiré.

Le reportage expliquait aussi que Hugues de la Plaza avait été poignardé du haut vers le bas, ce qui est plus courant dans les cas de suicides que d’agressions…

Le médecin légiste n’a pas pu déterminer quelle a été la première ou la dernière blessure infligée. Je n’ai pas entendu le médecin légiste dire que les blessures du haut vers le bas correspondaient plus à un suicide qu’à une agression. De toute façon, elle ne pouvait pas tirer ce genre de conclusions parce que les suicides à l’arme blanche sont extrêmement rares. Il me semble que tout ce qu’elle a dit dans ce reportage est que la position des blessures à gauche sur le corps de Hugues pouvait correspondre à un suicide parce qu’il était droitier.

Les enquêteurs ont également relevé que Hugues n’avait pas cherché à appeler les secours avec son téléphone portable…

Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’il ne se soit pas servi de son téléphone. D’abord, il venait de se faire poignarder. Il était mourant. D’après le légiste, il est décédé en l’espace d’une à deux minutes. Il avait une artère principale et une veine sectionnées, son poumon était dégonflé, il aurait été très difficile pour lui de respirer et a fortiori de parler. Et lorsque l’on subit ce genre de traumatisme, on ne pense pas de manière rationnelle. Ce qui m’énerve, c’est qu’ils sont capables de trouver des explications fantaisistes pour justifier que Hugues n’ait pas appelé les secours. Mais quand on leur pose la question fondamentale « Où est le couteau ? », ils mettent en avant des conclusions absurdes du genre « Il l’a lavé » – ce qui est faux, puisqu’ils n’ont pas trouvé de trace de sang dessus – ou « peut-être qu’il l’a jeté ».

Comment expliquez-vous que la caméra de surveillance à proximité du domicile de Hugues de la Plaza n’ait enregistré que son passage à lui ?

Les gens pouvaient très bien venir d’autres directions, ou de l’autre côté de la rue. Quelqu’un aurait très bien pu le suivre et se cacher. Une caméra de surveillance n’enregistre pas tout, elle ne se déclenche que de temps en temps, donc ça n’explique rien.

Les enquêteurs du SFPD ont affirmé n’avoir pensé à la thèse du suicide qu’après avoir interrogé Melissa Nix, l’ex-petite amie de Hugues. D’après eux, elle aurait évoqué le goût de Hugues pour les films de samouraïs, ce qui les aurait menés vers la piste du suicide.

Elle a nié cela. Le reportage expliquait que seulement quelques heures après avoir trouvé le corps de Hugues, les enquêteurs étaient allés demander aux voisins s’il était suicidaire. Donc, je pense que c’était leur idée et pas celle de Melissa Nix. En plus, si Hugues avait été amateur de films d’arts martiaux, il ne se serait pas poignardé dans le cou. Le hara-kiri est une façon de mourir très formalisée. En fait, cela accrédite encore plus la thèse du meurtre car si cela avait été un suicide, cela n’aurait rien eu avoir avec un hara-kiri.

Vous pensez donc qu’il est absolument impossible que Hugues de la Plaza se soit suicidé ?

Cette affaire est de plus en plus frustrante, car la thèse du suicide est impossible et absurde. Il y a maintenant deux médecins légistes qui pensent que c’est un meurtre, celui auquel a eu recours la police française et le docteur Ferenc. A la fin du reportage de 48 Hours Mystery, le médecin légiste Venus Azar disait qu’il faudrait que quelqu’un avoue le crime ou qu’il y ait un témoin oculaire pour qu’elle change d’avis. C’est ridicule, jamais ça n’arrivera. Je vois mal quelqu’un avouer l’avoir tué, et si quelqu’un avait vu la scène, il en aurait déjà parlé. J’espère que la police de San Francisco tirera des conclusions indépendantes de celles du Dr Azar.

Le père de la victime, François de la Plaza, a estimé que le SFPD avait « caché » ce rapport de contre-autopsie du Dr Ferenc. Vous pensez vraiment que c’est ce qui s’est passé ?

Tout ce que je sais, c’est que ce rapport a été rendu en février 2009. Dr Ferenc a envoyé un exemplaire du rapport au directeur adjoint du SFPD, David Shinn, et au bureau du médecin légiste le 11 février 2009, mais Mr Gascon, le responsable de la police de San Francisco n’en a eu connaissance que lorsque je lui en ai parlé en octobre dernier. A ce moment-là, il n’avait pas encore reçu le rapport. Michael Ferenc et moi-même avions été collègues lorsque je travaillais au bureau du procureur. Lorsqu’il a su que je représentais la famille, il m’a fait savoir qu’il avait été chargé par la police de San Francisco d’établir un rapport indépendant. Qui sait si l’existence de ce rapport aurait été révélée si je n’avais pas été l’avocat de la famille ? Le docteur Ferenc m’a parlé de ses conclusions mais ne m’avait pas transmis d’exemplaire de son rapport. J’ai alors demandé au SFPD de me fournir le rapport d’autopsie du Dr Ferenc pour la famille. Ils ont refusé. Et puis, on a appris que quelqu’un dans les services de police de San Francisco ou au bureau du légiste avait donné un exemplaire du rapport aux journalistes de 48 Hours Mystery. A ce moment, le docteur Ferenc a trouvé qu’il était juste de me remettre le rapport pour que je le fasse suivre à François de la Plaza.

Quand est-ce que la police doit remettre son rapport ?

Je ne sais pas, les services de police n’ont pas été très coopératifs à mon encontre.

Que changerait une requalification de la mort de Hugues de la Plaza en meurtre ?

Au nom de la famille, j’ai demandé à ce que l’affaire de la Plaza soit classée comme homicide. Sans vouloir manquer de respect aux enquêteurs actuels, je pense que la nomination d’un nouvel inspecteur à la tête de cette affaire ferait progresser l’enquête et mettrait peut-être la famille plus à l’aise. Parfois, un regard nouveau sur d’anciens éléments peut mettre en lumière de nouvelles informations.

Vous ne pensez pas qu’il est trop tard ? On parle déjà de l’affaire Hugues de la Plaza comme d’une affaire classée…

C’est presque une affaire classée et ce serait certainement une bonne idée que le service des affaires classées se charge de ce cas.