Agnès Varda, a French Filmmaker in California

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L’icône de la Nouvelle Vague, décédée le 29 mars à l’âge de 90 ans, se sentait chez elle à Paris comme en Californie, où elle a réalisé six films entre 1967 et 1981 et où elle recevait,  en novembre 2017, un Oscar d’honneur. Nous avions rencontré l’artiste française en 2013 ; elle était alors l’invitée du musée LACMA de Los Angeles.

L’œil aux aguets et le poing levé. La réalisatrice Agnès Varda a secoué le petit monde du cinéma français dès le début des années 1960. Cléo de 5 à 7 (1962) — une promenade dans Paris en compagnie d’une chanteuse — est considéré comme l’une des perles de la Nouvelle Vague française. Mais Agnès Varda ne s’est pas contentée de réinventer la narration cinématographique depuis le confort d’appartements parisiens. Avec Sans toit ni loi (1985), mettant en vedette Sandrine Bonnaire, elle nous entraîne dans l’errance d’une jeune vagabonde sur les routes de France. Son désir d’aventure mènera ensuite la baroudeuse, à la coupe au bol, en des territoires plus exotiques. Ce sera la Californie, où l’artiste s’envole en 1967 avec son mari, le réalisateur Jacques Demy qui tourne à Los Angeles son premier film américain, Model Shop (1968), avec Anouk Aimée.

La contre-culture américaine : le Flower Power

Là-bas, la cinéaste découvre un univers dont elle ignorait tout : la naissance de la contre-culture, le mouvement hippie et son rejet de la guerre du Vietnam. Elle décide d’en faire un film… Ce sera Lions Love (… and Lies), un manifeste libertaire, entre fiction et documentaire. Le film suit Viva, égérie d’Andy Warhol, et les créateurs de la comédie musicale Hair qui expérimentent l’amour à trois dans une villa de Beverly Hills.

Cheveux longs et fesses à l’air, le trio refait le monde, sous l’influence de psychotropes. “J’ai combiné dans un seul film des icônes de cette époque. Viva, la muse et l’actrice de Warhol, et les deux acteurs qui avaient écrit le scénario, Jim Rado et Gerome Ragni ; sans oublier Shirley Clarke, cinéaste de l’underground new-yorkais. Ces personnages sont représentatifs des excès et de l’utopie de l’époque.”

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Lions Love (… and Lies), 1969. © Max Raab/Agnès Varda

Néons fluos, affiches géantes, le film porte le regard tendre d’Agnès Varda sur ces gentils rebelles qui rêvent de mettre à bas Hollywood tout en encaissant les dividendes du star-système. Le sympathique tableau hippie se teinte de mélancolie quand Viva et ses deux amants vivent en direct à la télévision l’agonie de Bobby Kennedy. Le réel refait brutalement son apparition dans un monde d’illusions, et on ne rit plus du tout…

Filmer la rue, filmer la vie

Sont exposées aussi des photos de la photographe américaine spécialiste du graffiti Martha Cooper. Agnès Varda préfère documenter la vie des quartiers populaires et les mouvements artistiques naissants, plutôt que la bourgeoisie. “Je n’avais pas de but en arrivant, et j’ai effectivement été fascinée par cette ville. L’incroyable renouveau qui s’en dégageait, les contrastes, le bouleversement des comportements. Il y avait à la fois cette génération, qui ne trouvait pas les Français très reconnaissants de les avoir libérés en 1944, et les jeunes, qui manifestaient violemment contre la guerre au Vietnam […]. Le sociologue Marshall McLuhan, commençait à expliquer que ‘le média était le message’. Cela devenait important d’être représenté, vu, montré. Rendre compte de l’exubérance des hippies, du mouvement ‘peace and love’, ‘sex and politics’ de cette liberté sexuelle, qui s’affirmait partout, c’était nouveau pour nous, oui, rendre compte de tout cela en une fiction était mon but”, ajoute-t-elle.

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Manifestation des Black Panthers à Berkeley, 1967. © Agnès Varda

Son oncle d’Amérique

Pour aborder les leaders des différents mouvements sociaux de l’époque, Agnès Varda se faufile au milieu des manifestations : “je disais ‘French television’, qui en Amérique était un mot clé”, explique-t-elle. “Mais les cinéastes travaillent aussi et surtout sans caméra, c’est d’abord un travail journalistique. Je me suis promenée, j’étais dans tous les recoins de la ville, curieuse, notamment de cette population de ‘chicanos’, et tout ça se juxtaposait avec d’autres quartiers, des acteurs connus qui habitaient Beverly Hills ou Roman Polanski, qui habitait Bel-Air, résidence des riches, très protégée. Et il y avait ce beau temps, qui nous impressionnait tellement.”

Inégalités et contrastes n’en sont que plus pernicieux. “Même s’il y a des sans-abri dans la rue à Los Angeles, à Venice et à Downtown, on n’a jamais l’impression qu’ils souffrent autant qu’à Paris […]. Je ne pensais pas travailler en arrivant, mais il y a eu des surprises, comme la découverte de mon oncle Yanco [le peintre grec Jean Varda, qui vivait sur un bateau à San Francisco], et des Black Panthers.”

Avec les Black Panthers

Début 1968, Agnès Varda est aussi l’une des premières à filmer ce mouvement, à Berkeley. Là, aidée par Tom Luddy, futur collaborateur de Coppola, elle plante sa caméra au beau milieu d’une manifestation contestataire de militants du Black Panther Party, exigeant la libération d’un de leurs leaders idéologiques, Huey Newton. Ce documentaire, réalisé́ avec trois bouts de ficelle, est un manifeste engagé pour la cause des Black Panthers, et radicalement opposé à la police d’Oakland.

Soit vingt-quatre minutes de matière brute, avec des interviews d’activistes traitant de leurs brigades de défense. Et des extraits d’un discours de Stokely Carmichael, premier leader du mouvement. “La revendication de négritude était magnifique à voir. Malheureusement, le mouvement s’est autodétruit en trois ans, son programme a perdu force et efficacité. J’ai bien fait de filmer ce moment-là, parce que c’est devenu un document important.”

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Mur murs, 1980. © Ciné-Tamaris

American graffiti

Agnès Varda a la même intuition pour le graffiti. “En 1979, j’ai remarqué ces peintures murales dont personne ne parlait ; il n’y avait ni inventaire, ni archives, c’était un art spontané, dans la rue”, dit-elle pour introduire Mur, murs (1982), documentaire consacré aux peintures murales de travailleurs d’origine mexicaine. « Maintenant, le street art a pignon sur rue. A l’époque, personne ne s’y intéressait, sauf les voisins. »

Si elle vit aujourd’hui en France, Agnès Varda se sent chez elle partout en Californie. “Tout est intéressant en Californie. Plus haut, il y a la Côte Est et New York bien sûr. C’est un grand pays très peuplé, avec de grands problèmes, de grandes utopies et de grands projets. Cependant, beaucoup d’autres pays le sont également : je ne suis pas obsédée par l’Amérique.” Agnès Varda continue à “faire passer le courant et la vibration de la cinéphilie aux Américains, qui aiment savoir comment les étrangers voient L.A.” Ses films “californiens” sont devenus des jalons de l’histoire locale.


Article publié dans le numéro de janvier 2014 de France-Amérique

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