Alain Gomis: “The Fight for African Cinema has Begun!”

Avec Félicité, le Franco-Sénégalais Alain Gomis livre un portrait sensible d’une chanteuse en lutte contre la fatalité dans le Kinshasa d’aujourd’hui. Une héroïne noire comme on en voit trop rarement dans le paysage cinématographique.

Porté par l’intensité de ses acteurs et le magnétisme de la musique, le film récompensé de l’Ours d’argent au Festival de Berlin et présenté au New York Film Festival sera projeté aux Etats-Unis à partir du 27 octobre.

France-Amérique : Expliquez-nous le choix de ce titre en forme de prénom, Félicité ?

Alain Gomis : Ce titre a deux racines, française et africaine. “Félicité” est le titre d’une chanson du pionnier de la musique moderne africaine, le Congolais Joseph Kabassélé, que l’on entend dans le film. Dans sa chanson, Joseph Kabassélé dit “Ton sourire comme une voiture blindée”. Ça décrivait bien l’héroïne du film qui possède une grande force, qui se tient toujours debout, fière et droite, même dans l’adversité. Mais qui s’est tellement blindée qu’elle ne laisse plus ni la vie ni l’amour entrer en elle. Dans sa défaite face au malheur qui s’abat sur elle, son armure va petit à petit se fendiller, quelque part pour son bien. L’autre référence du titre vient d’un personnage d’une nouvelle de Flaubert, Un cœur simple. Ce personnage subit énormément de malheurs mais finit par accéder à une sorte d’illumination. Le titre de mon film est né de l’union de ces deux caractères.


Après et L’Afrance, Andalucia et Aujourd’hui, c’est votre premier film qui n’est pas tourné en français…

Pour qu’un film africain bénéficie d’une aide des systèmes de production, la France exige que 50 % du film soit tourné en langue française. Cela peut donner des choses étranges, comme le fait que des acteurs s’expriment dans une langue qui n’est pas celle de leur pays pour des raisons économiques. Pour Félicité, j’ai souhaité que les acteurs soient à l’aise avec leur propre langue, le lingala. Paradoxalement c’est moi, qui ne parle pas cette langue, qui me suis retrouvé en position de faiblesse puisque je ne comprenais pas ce que les acteurs racontaient ! Ça m’a obligé à arrêter d’essayer de tout comprendre, d’entrer en connexion avec eux, à ressentir leur jeu. Il faut pouvoir s’émanciper des codes de l’industrie du cinéma pour inventer son propre langage.

Quelle est votre place dans le cinéma africain ? 

Je suis à la fois un réalisateur africain, français et européen, nourri d’influences universelles. Je suis né d’un père sénégalais et d’une mère française, mais j’ai aussi des racines bissau-guinéennes et j’entretiens une relation spéciale avec l’Afrique, bien que j’habite à Paris. J’observe la reconquête de soi de l’Afrique, après des décennies de domination. Mon but est de dialoguer avec les sociétés africaines en construction. A Kinshasa, où le président est hors mandat depuis un an et demi, il n’y a pas de structure cinématographique propre. La ville a 13 millions d’habitants ! La culture artistique est très forte. Les arts de la scène, l’art contemporain, le théâtre, la littérature… Cette ville est complètement sous-représentée par rapport à son importance. J’espère lui apporter un petit coup de projecteur. A l’heure actuelle, le cinéma africain est produit au Burkina Faso, au Sénégal, au Mali et en Afrique de l’Ouest, au Kenya et au Nigéria avec Nollywood. Le cinéma africain reste une grande bataille, mais il est définitivement en route ! J’espère contribuer à ce renouveau.