Daniel Rose: The Parisian Chef Comes Home to America

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Arrivé en France il y a dix-huit ans pour étudier l’histoire de l’art et Le Banquet de Platon, le chef américain a pris un virage à 180 degrés. Délaissant l’université pour se tourner vers la cuisine, il ouvre Spring, un établissement parisien à succès où l’on goûte une cuisine française « décontractée ». Après l’ouverture de deux nouvelles adresses à Paris, le chef décline sa cuisine française à New York, dans le quartier de Soho : Coucou, dont l’ouverture est prévue en juin, représente sa première incursion aux États-Unis !

“Daniel Rose et son équipe aiment la France et tout ce qui est français.” Cette déclaration d’amour s’affiche en toutes lettres sur le site internet du restaurant Spring. Dix ans après l’ouverture de sa première adresse à Paris le chef américain de Chicago s’ingénie toujours à décliner les standards tricolores avec une justesse épatante : “Saint-Jacques, croustillant de pied de porc, truffe noire et topinambours”, “bar cuit sur les écailles, poireaux et sauce matelote” ou “pommes boulangères et agneau confit”. Il y a quelques mois, le chef surprenait tout Paris en inaugurant La Bourse et la Vie (dans le quartier de la Bourse), un bistrot typique situé derrière une façade sans enseigne, où l’on mange notamment un superbe pot-au-feu flanqué d’une tête de veau poêlée avec sauce ravigote. En avril, il reprendra Chez la Vieille, une table mythique du quartier des Halles, ancien “ventre de Paris” en pleine recomposition. Ce n’est pas tout ! Daniel Rose devrait inaugurer à la fin du mois de mai 2016 son tout premier restaurant aux États-Unis, Coucou, une table française (évidemment) dans le “11 Howard” : un hôtel chicissime en plein New York, à la croisée du Bowery, de Chinatown et de Little Italy. “C’est fou”, dit-il attablé chez Spring. “J’ai l’impression de faire le même geste que lorsque je suis arrivé en France. Je suis sûr que les choses que je vais découvrir seront aussi fortes.”

Les ouvertures d’établissements se succèdent, et l’emploi du temps du chef s’emballe (il nous aura fallu cinq mois pour obtenir un rendez-vous). Daniel Rose, lui, aura attendu le double avant de s’extraire de son QG du Spring et de partir à l’aventure se dédoubler dans une, deux, puis trois adresses des deux côtés de l’Atlantique. Le temps nécessaire pour capitaliser sur son expérience, bâtir une identité. “On a ouvert Spring sur une page blanche, en créant tous les jours quelque chose de nouveau”, dit-il. “Petit à petit, on a construit des filets de sécurité pour pouvoir prendre des risques, avancer sans savoir exactement ce que cela va provoquer. Aujourd’hui, le filet, c’est mon équipe, mon style de cuisine. Je fonce sans regarder à côté, sans être sûr que mes choix soient les bons.” À New York, il s’appuiera sur le multi-restaurateur et favori des critiques Stephen Starr, déjà aux commandes de Upland, The Clocktower, Morimoto et Buddakan. Une caution en or massif.

Ce matin-là, chez Spring, la conversation oscille entre l’anglais et le français, puis du français à l’anglais. Quand le cuisinier s’exprime en français (le plus souvent), ses phrases envoient des éclairs de poésie. On se demande s’ils sont volontaires. D’un idiome à l’autre, les mots ne s’équivalent pas toujours : il y a du jeu, une marge, un écart. C’est dans ces interstices, que s’introduisent –  pour emprunter un terme de Verlaine dans L’Art Poétique – ses plus belles “méprises”. On le soupçonnerait même de les cultiver…  car il en va de la cuisine comme de sa manière de parler, et ses atermoiements aboutissent souvent à d’heureux accidents. Comme cette sole au cidre, imaginée un soir chez lui avec les moyens du bord, et que l’on retrouve à la Bourse et la Vie. “Il faut juste ne pas aller trop loin pour pouvoir profiter de son erreur. Quand je travaille un joli bar, je dois savoir m’arrêter juste avant de le bousiller.”

Avenant, désinvolte, discret, Daniel Rose a des airs d’éternel adolescent. Il faut être américain pour oser exécuter des plats français en osant le pied-de-nez aux tendances culinaires. “Chez Spring, la cuisine n’est pas ‘remarquable’ : nous ne sommes pas dans la démonstration. Le but, c’est plutôt d’essayer de bien nourrir les gens, relève-t-il avec humilité. En France, il y a très peu d’endroits où l’expression libre existe encore. Tout est plus ou moins formaté. Même l’avant-garde est formatée. Il y a très peu de gens qui sont capables de penser hors du système : il reste Alain Passard, Pierre Gagnaire…” Si le Spring n’a pas été étoilé par le Guide Michelin, d’aucuns racontent que plusieurs toques étoilées en ont fait leur table d’élection. “Régulièrement des chefs indigènes viennent zyeuter l’estranger (pomper ses idées, pour être clair)”, écrivait récemment le célèbre critique François Simon dans le journal Le Monde.

Un retour aux sources

Notre homme est né en 1977 dans une famille juive de la banlieue chic de Chicago. Lorsqu’il débarque à Paris en 1998, c’est pour étudier l’histoire de l’art, puis l’architecture. Son goût pour la bonne chère le conduit en fait à l’Institut Paul Bocuse, près de Lyon, temple de la tradition, où il apprend les gestes de la haute cuisine française. Puis il entreprend un tour de France des brigades étoilées : Jean-Luc L’Hourre dans le Finistère, Pascal Alonso à Vaison-la-Romaine, Yannick Alléno au Meurice, à Paris. En 2003, il pilote pendant un an un restaurant de luxe au Guatemala. En 2006, il s’installe enfin à son compte dans le IXe arrondissement de Paris. Deux ans plus tard, le Figaroscope, supplément du Figaro dédié aux sorties, établit le classement des adresses les plus prisées de la capitale. Avec ses 18 couverts et ses cinq mois d’attente pour dégotter une table, le “premier” Spring installé dans un petit local du IXe arrondissement,  caracole en tête de liste. 2010 sera l’année du déménagement dans son actuel repaire de 44 places. Le lieu est fermé au déjeuner mais il envoie deux services au dîner. La clientèle ? Moitié française, moitié étrangère, principalement des Américains venu saluer l’enfant prodigue. Tendant son smartphone, le chef montre un courriel reçu la veille : “Nous aimerions beaucoup vous recevoir avec votre famille à New York. Venez donc dîner. Si vous voulez prendre l’air, venez à notre maison dans les Hamptons”. Ce genre d’invitation est fréquente.

Autant dire que, sur la Côte Est, le public huppé est déjà acquis à sa cause. Mais le succès parisien est-il vraiment transposable à New York ? “Je suis allé dîner chez Daniel Boulud”, se rappelle-t-il. “Ai-je été fasciné par la nourriture ? Non, j’ai été fasciné par le savoir-faire et le niveau d’exigence à une telle échelle. Aux États-Unis, on tend davantage vers l’industrie que vers l’artisanat.” Pas droit à l’erreur, ni aux “méprises”. En cuisinant en version originale, le chef conservera-t-il sa poésie ? “Nous n’avons pas les meilleurs produits du monde. Mais avec ces ingrédients-là, notre culture et notre économie, on tire la meilleure expression culinaire possible.” Joli défi !

Le Coucou. 138 Lafayette Street, New York, NY 10013. +1 212 271 4252. www.lecoucou.com
Spring. 6, rue Bailleul, 75001 Paris. +33 (0) 1 45 96 05 72. www.springparis.fr
La Bourse et la Vie. 12, rue Vivienne, 75002 Paris. +33 (0) 1 42 60 08 83. www.labourselavie.com
Chez la Vieille. 1, rue Bailleul, 75001 Paris. +33 (0)1 42 60 15 78.

 

Article publié dans le numéro d’avril 2016 de France-Amérique.


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