French Connection

Dans le « melting pop » de Miami

Quelque 30 000 Français vivent en Floride. A Miami, ils travaillent dans des domaines diversifiés qui vont du marketing médical au design d'intérieur. France-Amérique est parti à la rencontre de ces Français qui créent et prospèrent sous le soleil.
© Dennis Rochel

Les Français sont de plus en plus nombreux à s’installer à Miami. Le soleil, qui brille 250 jours par an en moyenne, y est certainement pour quelque chose. Mais le climat n’explique pas tout. Parmi les quelque 30 000 Français qui vivent et travaillent en Floride, on en croise en effet peu arborant des mines de vacanciers. Un des points forts essentiels de cet Etat que l’on surnomme le « Sunshine State » est sa position de plaque tournante entre l’Amérique du Nord et l’Amérique latine, qui facilite l’organisation d’échanges commerciaux. Autre atout : il n’existe pas d’impôt sur le revenu personnel.

Témoin du dynamisme ambiant, Henry Gazay s’est installé à Miami il y a dix ans « pour vivre et travailler au sein du plus grand marché mondial de l’industrie pharmaceutique et bénéficier des passerelles vers l’Amérique Latine ». Medimix, sa société de marketing médical, propose aujourd’hui ses services dans le monde entier. « Internet a véritablement transformé notre métier », explique-t-il. « Nous créons de véritables réseaux internationaux. » Henry Gazay emploie 75 personnes et fait appel à de nombreux travailleurs indépendants. La société basée à quelques blocks de Little Haïti, au nord du quartier de Downtown Miami, est constituée de huit antennes, permettant un maillage fin sur tous les continents. La réussite professionnelle n’est cependant pas le seul moteur de l’entrepreneur français : « J’estime avoir une autre mission, celle de développer une communauté médicale mondiale dans le domaine de l’aide au diagnostic, notamment concernant les maladies orphelines. On a besoin aussi de faire des choses dont l’objectif n’est pas le profit ! C’est ce qui me fait sortir du lit tous les matins. »

Départ pour Coconut Grove, l’un est un des plus anciens quartiers touristiques de Miami. Situé à dix minutes de voiture au sud de Downtown et à vingt minutes des plages de South Beach, « le Grove » a longtemps été un des hauts lieux de la culture hippie. De cette époque délirante, il ne reste que peu de traces dans ce coin très prisé par les Français sensibles à la vie de quartier qui y règne et à la proximité avec les écoles à programme international.

Situé au cœur de Coconut Grove, le Bouchon du Grove est une véritable institution culinaire française à Miami. Propriétaire et chef de cet établissement, Christian Ville y a posé ses couteaux en 1998, après avoir été formé par les plus grands chefs dont Michel Troisgros et Paul Bocuse. Il a également exercé son art comme chef des cuisines à La Popote du Ministre, l’un des restaurants du ministère de la Défense à Paris, ainsi qu’au célèbre hôtel marocain La Mamounia. Enfant de Roanne, Christian Ville souhaitait exercer un métier manuel : « Ce qui me plaisait, c’était l’idée de transformer une matière brute pour obtenir quelque chose de magique », se souvient-il. Une passion qui ne s’est jamais démentie, facile à vérifier lorsqu’on le fait parler de sa ratatouille ou de n’importe lequel des plats qu’il prépare chaque jour. Christian a horreur du froid. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle il est arrivé dans ces contrées subtropicales, mais cela participe certainement au fait qu’il y soit resté.

Les sandwichs que fabrique Nida-Core, l’entreprise de Damien Jacquinet, n’ont en revanche rien de comestible. Ces matériaux exceptionnellement résistants et légers, sont utilisés dans des domaines aussi différents que la fabrication de pales d’éoliennes, de coques de bateaux ou d’ascenseurs. « Un matériau dit ‘sandwich’ est composé de deux éléments principaux », explique Damien Jacquinet. « L’intérieur – l’âme – qui peut être constitué de structure en nid d’abeille, par exemple, est pris en sandwich entre deux peaux, qui permettent de rigidifier l’ensemble. » L’entrepreneur a créé sa société à New York à l’âge de 29 ans, avant d’ouvrir une unité de production à Port Sainte-Lucie en Floride, l’industrie nautique étant son marché principal. Cette même raison l’a poussé à quitter la Big Apple et s’installer à Miami Beach. Il distribue aujourd’hui ses produits dans 50 pays. Très préoccupé par l’écologie, le président de Nida-Core s’est récemment lancé dans une gamme « verte ». Il rêve aussi de voir des sociétés comme Coca-Cola ou Pepsi construire leurs bâtiments en matériaux à partir de bouteilles de plastique recyclées.

Père de quatre enfants en bas âge, Damien Jacquinet envisage de quitter Miami Beach pour se rapprocher des écoles publiques internationales de Coconut Grove et de Sunset. Il s’est rendu compte de la difficulté d’élever des enfants dans le joyeux bazar touristique qu’est Miami Beach.

David Leroi n’envisage lui pas un instant quitter ce quartier qui abrite aujourd’hui son atelier. Le peintre français a été attiré par l’énergie artistique de Miami. Il a fait le grand saut avec son épouse il y a sept ans. « En France, même si on participe à des tas d’expositions, on a l’impression de faire de la figuration », analyse l’artiste. « Depuis que je suis ici, je suis passé de la survie à la vie ! » Son premier coup de chance, David Leroi le doit à une rencontre qui lui permet de trouver un atelier au sein d’un des art centers de Lincoln Road, à Miami Beach. « Travailler là, c’est un peu comme être sur les Champs-Elysées ! » En 2007, ce qu’il appelle son « business » a vraiment changé de cours lorsqu’il a été sélectionné parmi 8 000 candidats par l’artiste japonais Takashi Murakami pour participer à une Geisail. « Il s’agit d’un concept d’exposition de promotion directe d’artistes », ajoute David Leroi en souriant. « Tous les acteurs importants de l’art contemporain se sont bousculés au portillon. Depuis, je n’ai pas cessé de vendre mon ‘Melting Pop. » »

Miami a également permis à Patrick et Fabrice Tardieu de franchir un palier. Originaires d’Haïti, les créateurs de la marque de chemises Bogosse ont débuté leur carrière en France où ils avaient d’ailleurs l’objectif de créer leur marque. « Patrick râlait régulièrement pour des histoires de finitions sur les chemises que je lui envoyais de France », raconte Fabrice à propos de son frère. « Un jour, je lui ai dit qu’il n’avait qu’à créer sa propre marque. Nous nous sommes lancés comme ça. » N’ayant pas réussi a monter leur projet dans l’Hexagone, Patrick, un ancien footballeur professionnel, et Fabrice, un ex-cadre chez Armani à Paris, se sont finalement installés à Miami, une ville d’autant plus intéressante qu’elle les rapprochait de leurs racines. Six ans après la création de Bogosse, les deux frères distribuent leurs créations dans les plus belles enseignes aux Etats-Unis et ont ouvert deux boutiques en France.

Gilles Valceschini et Lionel Chicherie aussi se félicitent d’avoir choisi de s’expatrier à Miami. « A Paris, un gros salon de coiffure est inabordable », explique Gilles, copropriétaire et administrateur du salon de coiffure Ugo di Roma à Coconut Grove. Le professionnel de la coiffure, c’est Lionel. A Paris, il a notamment travaillé pour Carita et Alexandre, mais a finalement opté pour l’aventure américaine avec son associé en 2005. Ugo di Roma emploie 21 salariés et ne désemplit pas. « Au début, répondre au téléphone [en anglais] était très difficile », analyse Gilles. « Et puis, les femmes américaines et latines ne se coiffent pas du tout comme les Françaises. » Des écueils qui n’ont pas empêché les deux compères de conserver la totalité de la clientèle de leur prédécesseur. « J’aime les gens d’ici », clame Lionel « Les Américains sont à la fois plus courtois et plus carrés ! »


Article publié dans le numéro de février 2010 de France-AmériqueS’abonner au magazine.