Famous Misquotes

“Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas.” Tout le monde connaît la prédiction d’André Malraux. Sauf que l’auteur de La Condition humaine a toujours nié avoir prononcé cette phrase. En 1975, un an avant sa mort, il donnait cette précision au magazine Le Point : “Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire.” Peut-être songeait-il à l’islam, dont il avait pressenti l’influence grandissante.

Des citations répétées à l’infini sont en réalité de pures fictions. La fameuse phrase de Louis XIV – “L’État, c’est moi” – n’était rien d’autre qu’une rumeur. Même si elle ne se préoccupait pas outre mesure du peuple de Paris qui mourait de faim, la reine Marie-Antoinette ne s’est jamais écriée : “Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche.” Tout comme Jean-Paul Sartre n’a jamais dit ni écrit : “Il ne faut pas désespérer Billancourt.” Dans la pièce Nekrassov, l’un de ses personnages dit même le contraire.

On ne trouve nulle trace, chez Albert Camus, de la célèbre phrase : “J’aime la justice, mais je préfère ma mère”, censée traduire le déchirement d’un pied-noir, partagé entre la défense du peuple algérien et le maintien de l’Algérie dans la République française. Contrairement à une croyance répandue, Voltaire n’a jamais écrit : “Je ne partage pas vos idées, mais je suis prêt à donner ma vie pour que vous puissiez les défendre.” La phrase a été inventée par une universitaire américaine, qui, au début du XXe siècle, a cru bon de résumer ainsi la pensée du philosophe des Lumières, mais en mettant le résumé entre guillemets. Le résultat était si percutant que des centaines d’auteurs ont présenté comme une citation ce qui n’était qu’une extrapolation. Une extrapolation au demeurant fort contestable, car Voltaire n’était pas spécialement bienveillant à l’égard de ses rivaux ou de ses adversaires.

Dans un délicieux petit livre* sorti en 2009, Paul Desalmand et Yves Stalloni font un sort à 65 citations de ce type. “Eppur si muove” (“Et pourtant elle tourne”) n’est nullement de Galilée. Un écrivain italien, Giuseppe Baretti, s’est plu à lui prêter cette formule dans un ouvrage sorti plus d’un siècle après la mort de l’astronome. Hermann Goering, pour sa part, n’a jamais dit : “Quand j’entends le mot ‘culture’, je sors mon revolver.” C’est le dramaturge Hanns Joshst, par ailleurs officier de la SS, qui fait ainsi parler l’un des personnages de sa pièce Schlageter, jouée à Berlin en 1933. La formulation exacte de la réplique étant : “Wenn ich ‘Kultur’ höre… entischere ich meinen Browning” (“Quand j’entends le mot ‘culture’, j’arme mon Browning.”)

De la même façon, la formule “La Garde meurt mais ne se rend pas” est née de l’imagination d’un écrivain, Michel-Nicolas Balisson (1781-1840) de Rougemont, qui, dans une relation de la bataille de Waterloo parue en juin 1815 dans le Journal général de la France, a mis la fameuse réplique dans la bouche de Cambronne.

Mais quid du fameux “mot de Cambronne” ? Face à l’officier anglais qui lui suggérait de se rendre, le valeureux commandant de la Garde impériale lui aurait répondu : “Merde”. Il s’agit là aussi d’une légende. Le responsable en étant Victor Hugo, qui, attribuant le “mot de cinq lettres” à Cambronne dans Les Misérables, en a fait la plus célèbre juron de la langue française.

Il est des cas où, au contraire, on dénie, à tort, la paternité, d’une formule à son auteur.  Ce n’est pas François-René de Chateaubriand, ainsi que l’affirme Simone de Beauvoir dans un livre intitulé La Vieillesse, qui a écrit “La vieillesse est un naufrage”, mais Charles de Gaulle dans ses Mémoires de guerre (L’Appel, “La chute”). Or beaucoup d’auteurs ont repris inconsidérément l’assertion de Beauvoir, l’un d’entre eux ayant même l’outrecuidance de situer la phrase incriminée dans les Mémoires d’outre-tombe.

Pourquoi tant d’erreurs ou d’approximations ? Parce que, diront certains, les journalistes et les essayistes racontent n’importe quoi sans vérifier leurs informations. Certes, mais si certaines formules à la paternité usurpée connaissent un tel succès, c’est que leur auteur présumé aurait très bien pu les prononcer.

On prête souvent à Nicolas Machiavel la maxime “Diviser pour mieux régner”. Or elle ne figure nulle part dans l’œuvre du grand penseur de la Renaissance italienne. Tout au plus en retrouve-t-on l’idée dans le titre d’un chapitre du Discours sur la première décade de Tite-Live : “Que le peuple en masse est puissant ; que divisé il est faible.” Mais cette maxime pourrait très bien être du Florentin, pour lequel la politique est autant l’art de se maintenir au pouvoir que celui de bien gérer la cité. De même qu’il aurait très bien pu écrire que “La fin justifie les moyens”, une autre assertion qu’on lui attribue abusivement.

En fin de compte, comme le soulignent dans leur livre Paul Desalmand et Yves Stalloni, que la postérité ait fautivement imputé ce type de phrases à Machiavel – et la remarque vaut pour tous les personnages cités précédemment – ne fait qu’ajouter à sa notoriété.

* Petit inventaire des citations malmenées, éditions Albin Michel, 192 pages.

 

Chronique publiée dans le numéro de mars 2016 de France-Amérique.