Portrait

Jean-Claude Baker, au nom de la mère

Jamais officiellement adopté mais considéré comme le treizième enfant de Joséphine Baker, Jean-Claude Baker a ouvert il y a 26 ans un restaurant en son hommage à New York. Un lieu où il aime se souvenir de sa « deuxième maman » avec ses clients et son piano.
Jean-Claude Baker dans son restaurant de Manhattan, Chez Joséphine.

Il est un lieu au cœur de Midtown, à Manhattan, qui n’est pas sans rappeler les Années folles. Ces années, où Joséphine Baker, encore inconnue du grand public, dansait sur Broadway dans la comédie musicale Shuffle Along, avec pour la première fois une distribution entièrement noire. Ce sont ces années-là auxquelles celui qui se considère comme son fils veut rendre hommage dans son restaurant, Chez Josephine, sur la 42e Rue Ouest.

Si ce n’est la recette du poulet frit d’Elvira, la grand-mère de l’artiste, rien sur la carte ne rappelle celle que la critique surnommait « la Vénus Noire ». Il faut alors regarder ailleurs, les tableaux sur les murs où elle se déhanche, seins nus, avec son célèbre pagne de bananes. « Parfois, les clients qui ne savent pas qui elle était viennent et me demandent si Josephine cuisine ce soir. Je leur réponds oui. S’ils s’assoient, je partage avec eux quelques histoires. »

Abandonné par son père

Depuis 26 ans, Jean-Claude Baker se fait la mémoire du passé, que celle qu’il appelle « maman » a souvent cherché à mythifier. « Ici, la légende continue », explique le maître des lieux. « Il faut donner au public ce qu’il veut. » Alors, avec l’art et la manière d’un conteur, il vous entraîne avec lui de St. Louis dans le Missouri jusqu’au sud de la France, où l’ancienne star de la Revue Nègre a fini sa vie. Des anecdotes, il n’en manque pas, façonnées par la route qu’il a partagée avec elle dans les dernières années.

Petit garçon abandonné par son père, Jean-Claude Julien Léon Tronville quitte Dijon pour Paris en 1958. La même année, alors employé de l’hôtel Scribe, il rencontre Josephine Baker. « J’avais 14 ans, elle 52. Quand je suis arrivé dans sa chambre, elle m’a dit : ‘Est-ce que tu aimes ta mère, petit ?’ J’étais choqué parce que personne ne se souciait de moi à l’époque. Cinq minutes plus tard, j’étais assis sur le lit pour lui raconter mon histoire. » Mais ce n’est que bien plus tard, à la fin des années 1960, que les deux se retrouvent.

Treize à la douzaine

Ancien mannequin, personnage des nuits de Berlin Ouest, Jean-Claude est le dernier des enfants de l’artiste afro-américaine, jamais officiellement adopté. »Avec son ex-mari, Jo Bouillon, ils avaient recueilli douze enfants du monde entier et les appelaient ‘la tribu arc-en-ciel’. Avec moi, nous étions treize à la douzaine, j’étais le plus vieux, celui qu’elle avait eu gratuitement et le seul avec qui elle a partagé la scène », plaisante le restaurateur. A la fois manager, confident, porte-parole et secrétaire, il reste au service de cette « Cléopâtre des temps modernes » jusqu’à sa mort en 1975. Ce n’est que huit ans plus tard qu’il prend son nom en même temps que la nationalité américaine.

Après sa disparition, il lance Télé France-USA en 1976, une chaîne sur le câble américain faisant la part belle à l’actualité française. Une entreprise dont il vendra ses parts au gouvernement français de Mitterrand, sept ans plus tard. Il ouvrira Chez Josephine en 1986, à la place de La Rousse, un ancien salon de massage aux vertus légères qui avait fait faillite des années auparavant. « C’était un endroit affreux, dans une partie abandonnée de New York où personne ne voulait venir », raconte le propriétaire. « Mais j’étais à moitié ruiné et il fallait que je trouve le moyen de gagner de l’argent. »

N’ayant aucune expérience, si ce n’est quelques cours de cuisine avec son ami, le célèbre Pierre Franey, chef du Pavillon à New York, il capitalisera sur son sens de l’accueil. « Je ne savais rien de la restauration, j’étais allergique à l’ail, mais j’aimais les gens. » Le succès, il le doit aussi à un des journalistes du New York Times. « Il est venu presque sept fois et a écrit une des critiques les plus fabuleuses : ‘Si vous allez au théâtre, jetez vos tickets pour manger du boudin noir et écouter le pianiste.' »

Un hommage aux artistes afro-américains du XXe siècle

Aujourd’hui encore, quand tombe la nuit, Chez Josephine se transforme en cabaret. Au fil des années, Jean-Claude Baker, aidé par son frère Jari, un des enfants de la « tribu arc-en-ciel », a invité de nombreuses personnes à venir se produire derrière le piano noir qui trône au milieu de la salle, comme le jazzman Harry Connick Jr. ou plus récemment Christopher Curtis, le compositeur d’une comédie musicale sur Charlie Chaplin.

A ses heures perdues, via sa fondation, Jean-Claude Baker consacre son temps à rendre hommage à tous les artistes afro-américains qui ont croisé ou non la route de sa « mère ». « J’ai retrouvé tous ceux avec qui elle avait joué avant qu’elle ne parte pour Paris pour écrire sa biographie Josephine : The Hungry Heart. Je les ai écoutés et je me suis dit que l’Amérique ne les a jamais reconnus alors qu’ils sont une partie importante de l’histoire. »