La France cède au hashtag

EDITO. Le cardinal de Richelieu, l’homme de l’ombre du XVIIe siècle, doit se retourner dans sa tombe après l’annonce étonnante que la France renonce à lutter contre l’introduction des mots anglais dans la langue française.

Ce renversement soudain de quatre siècles de politique linguistique française a été annoncé par la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, qui a déclaré que la résistance de la France à l’introduction de mots anglais nuisait – plutôt que préservait – la langue. “Le français n’est pas en danger, et ma responsabilité en tant que ministre est de ne pas ériger des barrières inefficaces contre les langues, mais de donner à tous nos citoyens les moyens de la faire vivre”, a affirmé Mme Pellerin à un public rassemblé pour l’ouverture de la semaine de la langue française et de la Francophonie en mars, reconnaissant en une phrase à la fois la futilité et de la mauvaise direction prise par cette bataille.

“Le français n’est pas en danger” est une affirmation remarquable de la part de la gardienne de la langue d’un pays qui, en 2006, a fait payer une amende de plus de 500 000 euros à la filiale française de General Electric Medical Systems pour avoir rédigé ses manuels de logiciels en anglais ; d’un pays qui a officiellement interdit l’utilisation d’anglicismes depuis des décennies ; et d’un pays dont la détermination officielle de “garder français le français” remonte au roi Louis XIII, qui a régné de 1610 à 1643. A l’époque, bien sûr, l’idée n’était pas tellement de se protéger de l’anglais, mais de contrôler les variations du français qui fluctuait et de décider ce qui devait être codifié comme du français officiel.

Louis XIII a chargé son impatient conseiller, le cardinal de Richelieu, qui a fondé en 1635 l’Académie française, une institution invitée à se prononcer une fois pour toutes sur l’écriture de “fromage” (ou “formage”). Elle devait aussi formaliser les signes diacritiques – ces accents qui perturbent ceux qui étudient le français aujourd’hui – et plus généralement de “nettoyer le langage de toute la crasse qu’elle a pris” et rendre le français “pur [et] éloquent”.

Près de 400 ans plus tard, les 40 “Immortels” de l’Académie française, vêtus de robes de velours et bicornes napoléoniens lors de leurs réunions annuelles, espèrent toujours atteindre ce noble objectif, si insaisissable. Mais au cours des dernières décennies, l’académie s’est moins préoccupée des mots à inclure dans la langue française que de ceux à exclure : à savoir, les mots anglais.

La majorité du débat se concentre aujourd’hui sur le sort à accorder aux termes techniques anglais tels que “hashtag” et “cloud computing”. En fait, la réaction contre l’invasion de l’anglais dans la langue française a commencé à l’ère pré-informatique, quand les élus se sont alarmés de l’engouement du pays pour faire du “footing” et manger “les cheeseburgers” pendant le “week-end”. Comprenant que l’Académie, qui en tant qu’organe consultatif n’a pas de statut juridique, ne faisait pas un travail efficace pour maintenir “la saleté” hors de la langue, la France a formé une commission sur la terminologie en 1970. Suivie cinq ans plus tard de la loi du 31 décembre 1975 relative à l’emploi de la langue française, qui punit d’amendes l’utilisation des anglicismes interdits, puis en 1984 par la création de la commission générale de la langue française, à son tour suivie par la loi Toubon de 1994, qui rend obligatoire l’utilisation de la langue française dans toutes les publications officielles du gouvernement, les contrats commerciaux, les publicités, les lieux de travail et les écoles publiques.

Pourtant, malgré ces nombreuses lois et commissions (au moins 20 qui régissent la langue française), le problème gênant du mot “hashtag” (ou comme le ministère de la Culture voudrait que vous l’appeliez – au moins jusqu’à il y a quelques semaines – mot-dièse) subsiste. Le ministère compte sur les commissions de terminologie spécialisées pour trouver des mots français remplaçants les nouveaux mots venant de l’étranger. En théorie, la tâche est simple : on prend un terme étranger comme “Wi-Fi” et on invente un équivalent français autre que “le Wi-Fi “. Malheureusement, la langue française a tendance à être prolixe ce qui joue en sa défaveur, surtout à l’ère de Twitter. Le mot recommandé pour “Wi-Fi” est le barbarisme “accès sans fil à l’Internet”. Ce qui explique pourquoi vous pouvez apercevoir des panneaux “Wi-Fi” dans toute la France.

Je soupçonne que les Français ne réalisent pas que “Wi-Fi” n’a même pas de sens en anglais. Ce terme existe seulement parce qu’une personne dans le département marketing d’un fabricant, après avoir reçu pour mission d’imaginer un mot ou une phrase assez courte pour tenir sur un autocollant afin de décrire une connexion réseau sans fil, était assez vieux pour se souvenir d’avoir écouté ses albums de Charlie Parker sur sa chaîne “Hi-Fi.” Cependant, c’est précisément cette volonté quasi-obsessionnelle de s’attacher à la doctrine qui rend l’annonce de Mme Pellerin si choquante.

Il est tentant de spéculer que Mme Pellerin, 41 ans, orpheline née en Corée du Sud qui a grandi en France, et parle couramment l’allemand et l’anglais, a une vision du monde plus large que ses prédécesseurs. Comme elle l’a souligné dans son discours, une majorité croissante des francophones de la planète vivent en dehors de la France. Pourtant, on en vient à se demander si Mme Pellerin a fait relire son texte par des responsables gouvernementaux avant de se prononcer. Car, pour citer une autre Française, Madame de Pompadour, “Après moi, le déluge”.

Retrouvez la version originale, en anglais, sur le site du New York Times