Le film Timbuktu, succès critique aux Etats-Unis

Le dernier film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako (Bamako, Heremakono), coproduit par la France, est en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger, pour le César du meilleur film (parmi neuf nominations) en février prochain et sort dans les salles new-yorkaises le 28 janvier.

Depuis sa présentation lors du festival de Cannes en mai dernier, Timbuktu est un succès en salles françaises, rapportant 4 millions d’euros depuis sa sortie le 10 décembre dernier. Il s’est aussi retrouvé dans une polémique médiatique : le député-maire de Villiers-sur-Marne, Jacques-Alain Bénisti, qui n’avait bien entendu pas vu le film, a eu la bonne idée de l’interdire sur les écrans de sa ville pour “apologie du terrorisme”, avant de se rétracter. En ouverture du film, une ville du Mali est prise d’assaut et occupée par des milices djihadistes, qui s’empressent d’annoncer à la population l’application de la charia. Suivent alors des scènes de confrontation avec la population, l’imam local, entre absurdité, décalages et violence terrible.

Le film a aussi reçu des critiques élogieuses de la presse américaine. Les attaques récentes à Paris et l’actualité internationale ont rendu le film indispensable et l’ont replacé involontairement au centre des attentions. Tourné en Mauritanie, dans les villes d’Oualata et de Nema, le film est produit par Sylvie Pialat et candidat à l’Oscar pour la Mauritanie, une première.

Pour Variety, Sissako “est un maître […] Timbuktu confirme son statut d’un des véritables humanistes du cinéma moderne […] Plutôt que de faire des chefs djihadistes des démons stéréotypés, Timbuktu les montre comme des hommes qui n’ont pas encore oublié leurs cœurs mais qui l’ont enfermé dans de l’acier, suscitant une sympathie extérieure tout en tenant une interprétation stricte des écritures qui interdit l’épanouissement, surtout pour les femmes.”

Le critique compare aussi la représentation de la violence à 12 Years A Slave de Steve McQueen, oscar du meilleur film l’année dernière. Le deux films mettent en scène une flagellation. La scène tournée par McQueen est “dure à regarder et épuisante émotionellement, et pourtant Sissako propose une séquence similaire avec beaucoup plus de discrétion et parvient à rendre ses effets ressentis de manière beaucoup plus profonde.”

Pour le Hollywood Reporter, “malgré quelques faiblesses narratives qui diluent l’impact émotionnel global, Timbuktu est un film difficile à oublier et met une fois de plus Sissako au centre du cinéma africain. C’est aussi une révélation sur le développement méthodique de l’influence jihadiste dans l’Afrique sub-saharienne malgrè la résistance populaire […] les méthodes du film sont courageusement hétérodoxes et ses changements constants de ton du drame à l’humour, de la joie à la tragédie, peuvent être déroutants. Ce n’est pas un film pour tous les spectateurs, mais malgré ses excentricités, c’est toujours regardable, grâce à ses personnages forts et la poésie émouvante de son imagerie.”

Dans le New Yorker, David Denby précise que “la sortie de Timbuktu n’aurait pas pu mieux tomber, bien que n’importe quelle période, aujourd’hui, pourrait faire l’affaire, c’est la triste vérité […] Plus vous cherchez à définir le film, plus vite il s’échappe […] Face à une telle sauvagerie, on pourrait attendre de Sissako qu’il vitupère contre ses briseurs de liberté, mais il est indirect pour ça, préférant s’amuser froidement à leurs dépens.”

Pour Stephen Holden du New York Times, le film est d’une beauté à couper le souffle, une étude déchirante d’une culture tribale sédentaire écrasée par les djihadistes. Son collègue A.O.Scott revient sur la représentation des djihadistes : “les montrer de cette manière n’est pas une façon d’’humaniser’ le fanatisme […] Comment les méchants pourraient-ils être autre chose qu’humains ? Leur folie réside dans la croyance qu’ils peuvent transcender cette condition humaine et terroriser d’autres musulmans par la sainteté. Ils peuvent être sincères dans leur dévotion à leur Dieu et son prophète, mais ce sont toujours des pauvres types. Timbuktu est un acte de résistance et de revanche parce qu’il affirme le pouvoir du sécularisme non comme une idéologie mais plutôt comme un fait têtu de la vie […] Timbuktu est un film politique de la même manière que Le Voleur de bicyclette ou Les Temps Modernes sont des films politiques : c’est à la fois opportun et permanent, immédiat et essentiel.”

Il n’est pas certain que l’académie des Oscars partage le jugement des critiques en couronnant Timbuktu le 22 février prochain. Le film est en compétition avec les favoris Ida du Polonais Pawel Pawlikowski et Leviathan du Russe Andrey Zvyagintsev.

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