Objet Culte

Object culte : Chanel N°5

A la libération de Paris en 1944, les G.I. américains se bousculent devant la boutique Chanel de la rue Cambon pour rapporter à leur femme un flacon de parfum mythique, le N°5. Retour sur l’histoire de ce succès intemporel.
© Laura Chouette

Dans les années 1920, Gabrielle Chanel dite « Coco » règne sans partage sur le monde de la mode mais ne s’intéresse guère au parfum, considérant qu’il ne sert qu’à masquer les mauvaises odeurs. Sa rencontre avec le grand-­duc Dimitri Pavlovitch de Russie, cousin du tsar Nicolas II, la fera changer d’avis. A la cour de Russie, à Saint-Pétersbourg, le parfum est depuis des siècles en odeur de sainteté. Le grand­-duc, devenu son amant, lui en vante les vertus. Par son entremise, elle fait connaissance avec Ernest Beaux, parfumeur à la cour du tsar, exilé en France après la révolution bolchévique. Beaux avait connu un immense succès en 1912, avec le lancement de son eau de Cologne, Bouquet de Napoléon, en hommage au centenaire de la bataille de Borodino.

En 1921, Coco Chanel fait appel à lui pour lancer sa marque : « Je veux un parfum de femme qui sent la femme », dit­ elle à Ernest Beaux. Jusque ­là, les parfums sont naturels, d’origine végétale (rose, muguet, jasmin…) ou animale (musc, ambre…) et ne sont composés que d’une seule note. Visionnaire, Mademoiselle Chanel exige du synthétique, du « fabriqué », comme ses robes : « Un parfum artificiel, je dis bien artificiel comme une robe, c’est ­à ­dire fabriqué. Je suis un artisan de la couture. Je ne veux pas de rose, de muguet, je veux un parfum qui soit un composé. »

Ernest Beaux lui proposera plusieurs mélanges, numérotés de 1 à 5 et de 20 à 24. Seul le numéro 5, contenant des aldéhydes de synthèse, retient l’attention de Coco. Composé de 80 ingrédients différents, il rompt avec les parfums mono­floraux. Avec le N°5, on ne sent pas une fleur mais un bouquet entier. Le premier parfum abstrait est né, souligné par un flacon à la forme épurée et rectangulaire très simple pour l’époque qui privilégie les flacons très ­ornementés.

Selon Coco Chanel, le contenu importe plus que le contenant. Et paradoxalement, ce flacon aux allures simples magnifie le liquide d’or qu’il renferme. Son avant­-gardisme lui vaudra d’être exposé des années plus tard, en 1959, au Museum of Modern Art de New York et inspirera Andy Warhol. A la question « Quel nom faut­-il lui donner ? », Coco Chanel répond à Ernest Beaux : « Je présente ma collection de robes le 5 du mois de mai, le cinquième de l’année, nous lui laisserons donc le numéro qu’il porte et ce numéro 5 lui portera bonheur. » L’histoire lui donnera raison : on dit qu’il se vend un Chanel N°5 toutes les 55 secondes dans le monde !

La légende Marilyn Monroe

En 1954, Marilyn Monroe fait entrer le parfum dans la légende. Alors qu’un journaliste lui demande ce qu’elle porte pour dormir, la star américaine répond : « Juste quelques gouttes de N°5 ». Soixante ans plus tard, la maison a fait de cette déclaration l’objet d’une de ses campagnes publicitaires, en réutilisant le désormais légendaire enregistrement sonore. D’autres égéries, stars du cinéma français et actrices hollywoodiennes, serviront la marque. ­Catherine Deneuve a posé à plusieurs reprises, immortalisée par le photographe Richard Avedon. La beauté classique de l’actrice en fera une des égéries les plus iconiques de la marque. Femme fatale, ­Carole Bouquet incarnera le parfum dans les années 1990, suivie par Nicole Kidman.

Chanel, une griffe franco-américaine

En 1924, les frères Paul et Pierre ­Wertheimer, industriels français, s’associent à Gabrielle Chanel pour la fabrication du N° 5. Pendant la ­Deuxième Guerre mondiale, fuyant le régime de Vichy, les deux frères trouveront refuge aux Etats-Unis.  Trente ans plus tard, Pierre Wertheimer rachètera la maison de couture Chanel. Ses petits-fils, Alain et Gérard, détiennent toujours le groupe. L’entreprise est restée familiale.


Article publié dans le numéro de janvier 2015 de France-Amérique. S’abonner au magazine.