Entretien

« La peine de mort déshonore l’image des Américains »

Le 17 septembre 1981, le ministre de la Justice Robert Badinter s'adresse à l'Assemblée nationale pour demander l'abolition de la peine de mort. Une page de l'histoire de France se tourne. Depuis ce jour, l'ancien garde des Sceaux n'a jamais cessé son combat pour l'abolition universelle de la peine de mort. De passage à New York pour la promotion de son nouveau livre, Abolition: One Man’s Battle Against the Death Penalty, il répond à nos questions.
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© Jacques Brinon/AP

France-Amérique : Votre livre Abolition: One Man’s Battle Against the Death Penalty, sort aux Etats-Unis. Comment pensez vous que les Américains vont accueillir votre ouvrage ?

Robert Badinter : J’aimerais pouvoir vous dire avec intérêt, mais je crains que ce ne soit avec une relative indifférence. Il y a aux Etats-Unis un mouvement évolutionniste notamment dans les grandes universités mais ça n’atteint pas le monde politique américain.

Alors qu’est-ce qui vous a poussé à publier ici un livre sur l’abolition de la peine de mort?

J’ai décidé de publier ce livre car la question de la peine de mort aux Etats-Unis est essentielle pour la lutte de l’abolition universelle. Les progrès réalisés sont immenses et vont bien au-delà de tout ce que j’espérais. En 1981, la France était le 35e Etat à abolir la peine de mort. Plus des deux tiers des Etats dans le monde sont contre la peine de mort. L’abolition est donc aujourd’hui majoritaire dans le monde. Quand vous regardez dans le cadre des conventions internationales, il y a une sorte de consensus international, ce qui prouve que l’abolition de la peine de mort devient une valeur essentielle.

Aujourd’hui, le débat sur la peine de mort semble s’intéresser davantage au cas américain. Comment expliquez-vous cette focalisation sur les Etats-Unis alors que d’autres grandes puissances, telles que la Chine, continuent d’exécuter ?

Qui exécute aujourd’hui dans le monde ? Environ 95 % des exécutions ont lieu dans cinq pays, à savoir la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Soudan et les Etats-Unis. Est-ce que les Américains ont quelque chose à voir avec les quatre Etats qui sont des dictatures sanglantes ? Les Etats-Unis sont la seule démocratie occidentale à recourir à la peine de mort. Pour moi, qui suis un vieux américanophile, c’est inexplicable. Si c’est inexplicable, c’est parce que ce n’est pas expliqué. Et pour expliquer, je viens aux Etats-Unis. L’attachement à la peine de mort est infantile et démagogique. Pour la plupart des gens, une personne qui a commis un crime atroce ne mérite pas de vivre. Jamais, nulle part, l’abolition de la peine de mort n’a fait augmenter les crimes sanglants.

Austin Sarat est professeur américain et auteur du livre When State Kills. Il démontre dans son ouvrage qu’il est possible d’inverser la tendance : il suffirait que des Etats comme le Texas ou la Californie abolissent la peine de mort pour que les autres Etats suivent… Partagez-vous ce point de vue ?

Je ne suis pas sûr qu’il faille que ce soit un grand Etat. Le New Jersey vient d’abolir la peine de mort et pourtant ce n’est pas un très grand Etat. Je pense plutôt que cela se fera Etat par Etat. La pratique de la peine de mort aux Etats-Unis est très concentrée, c’est surtout une spécialité du Sud. La peine de mort déshonore l’image des Américains et c’est un handicap pour la force morale du pays. Les Américains ne sont pas contents quand je leur dis ça.

Est-ce possible d’abolir la peine mort dans un pays où deux tiers de la population est favorable à cette pratique ?

Vous dites ça à celui qui est monté à la tribune de l’Assemblée nationale pour demander l’abolition de la peine de mort le jour où un aimable journal de droite, Le Figaro, a mis en première page : « 64 % des Français pour la peine de mort contre 32 % ». Le fait que la population américaine soit majoritairement favorable, cela ne change rien. Il ne suffit que d’une chose : le courage politique. Si la peine de mort a été abolie en France, on le doit politiquement au président, François Mitterrand. Avant l’élection présidentielle [de 1981], il avait dit que s’il était élu, il demanderait l’abolition de la peine de mort. C’est vrai que j’ai eu des liens très amicaux avec François Mitterrand. Je n’ai pas été indifférent au fait que lui aussi considérait que cela ne pouvait plus durer. Mais les autres politiciens de son temps n’avaient pas le courage de le dire. Valérie Giscard d’Estaing disait que le jour où les Français n’auraient plus peur pour leur sécurité, on abolirait la peine de mort. On l’aurait encore aujourd’hui, la peine de mort.

Que pensez-vous de Barak Obama et de John Mc Cain ?

Je suis navré que Barak Obama ait dit qu’il faille punir les crimes atroces avec des condamnations à mort. Qu’est-ce que cela veut dire ? On n’a jamais aboli la peine de mort pour les voleurs de lapins. Aux Etats-Unis, l’abolition de la peine de mort viendra des Etats eux-mêmes, pas du pouvoir fédéral. Je pense qu’aucun des deux candidats n’aura ni le courage politique ni la force de conviction nécessaire pour mener ce combat.

En France, un jeune garçon, Valentin, a été tué de plusieurs coups de couteau en juillet dernier par un déséquilibré. Cette affaire a relancé le débat sur la peine de mort. Pensez vous qu’on puisse remettre en cause l’abolition de la peine de mort ?

Ce n’est pas possible, l’abolition de la peine de mort est loin dans l’histoire française. Mais vous savez, il y a encore des étudiants qui pensent que l’abolition date de la Révolution française.