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Silicon Valley, la matière grise de l’Etat doré

Territoire informel aux frontières floues et mouvantes, la Silicon Valley continue à attirer les cerveaux du monde entier. Dans ce flux d'innovation constante, les Français ont su se faire une place au soleil et imposer leur savoir-faire dans le domaine ultra-compétitif des hautes technologies.
© Madhur Chadha

Au sud de la baie de San Francisco s’étend un pays imaginaire, peuplé de légendes et de contes de fées. Sauf que les Cendrillon et Blanche Neige locales ont pour nom Bill Gates et Steve Jobs, et qu’au lieu d’une petite chaumière perdue dans les bois, c’est dans un garage de Palo Alto que l’histoire commence. En 1939, William Hewlett et David Packard, ingénieurs en électronique issus de la même promotion à l’université de Stanford, mettent au point un oscillateur audio de précision dans le garage de la famille Packard. C’est grâce à un autre conte de fées que le leur deviendra possible : leur premier client, les studios Walt Disney, leur commandent des oscilloscopes pour synchroniser les effets sonores de Fantasia. Partis avec 585 dollars en poche, William Hewlett et David Packard ont réussi à hisser leur compagnie à une valeur actuelle de 82 milliards de dollars.

Ces figures mythiques du rêve américain ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. La Silicon Valley compte sans doute des centaines, des milliers d’histoires similaires de jeunes ingénieurs, partis de rien d’autre que de leur potentiel intellectuel pour finir parmi les hommes d’affaires et scientifiques les plus influents de la planète. Autrefois couverte de vergers, la zone de la Silicon Valley, qui correspond plus au moins au comté de Santa Clara, voit fleurir depuis les années 1970 les entreprises de technologies de pointe. Parmi les géants mondiaux du high-tech, on y trouve Hewlett-Packard, Apple, Intel, Google, Yahoo, Facebook, Ebay. Et la liste ne cesse de s’étoffer.

Peu nombreux mais bien placés

A leur échelle, les Français de la Silicon Valley contribuent au bouillonnement d’idées novatrices et audacieuses qui font la marque de fabrique de ce pôle de haute technologie, envié dans le monde entier. Qu’ils soient chercheurs, ingénieurs ou entrepreneurs, les cerveaux de l’Hexagone continuent, malgré la crise, de tenter leur chance dans cet eldorado de l’innovation technologique. Un recensement effectué par le consulat général de France à San Francisco estime entre 7 000 et 7 500 le nombre de Français travaillant dans le domaine des technologies de pointe autour de la baie de San Francisco. Une goutte d’eau par rapport aux communautés chinoise et indienne qui totalisent à elles deux 140 000 des 350 000 emplois de l’industrie de la high tech dans la Silicon Valley. Mais même en minorité, les Français réussissent à imposer leur marque. « Ce n’est pas un hasard s’il y a autant d’ingénieurs français dans la vallée », observe Dominique Lahaix, fondateur et dirigeant d’ECairn, une start-up qui développe un logiciel de réseau social pour permettre aux marques de mieux cibler leur clientèle. « Il y a peut-être des nuances, mais il n’y a pas d’écart de compétences entre les ingénieurs français et les américains. »

Le parcours de Luc Vincent ne semble pas contredire cette analyse. A 44 ans, cet ancien élève de Polytechnique et des Mines à Paris dirige le programme Street View chez Google, qui consiste à donner aux utilisateurs une vision d’immersion photographique des plans de Google Maps. Venu aux Etats-Unis pour un post-doctorat à Harvard, le jeune ingénieur français qui a ensuite été embauché par Xerox, a décidé de changer de côte au bout de quelques années. C’est dans le cœur historique de la Silicon Valley qu’il a atterri, à Palo Alto. Cela fait maintenant treize ans et il ne compte pas en partir : « Google est une boîte phénoménale », explique-t-il avec exaltation. « On a l’impression d’avoir un impact sur le monde. Google ne fait jamais dans la demi-mesure. On ne développe un logiciel que s’il peut servir à des dizaines de millions d’utilisateurs. » Enthousiaste, il fait volontiers visiter le siège de la compagnie, monument fantaisiste et ludique qui semble avoir été créé par des enfants auxquels on aurait donné des milliards de dollars.

Des champs d'application immédiats

C’est aussi le haut niveau des universités américaines qui a attiré Elisabeth Paté-Cornell en 1971. Après un master en mathématiques appliquées et en informatique à l’Institut polytechnique de Grenoble, la jeune femme qui avait « besoin d’air frais », n’a pas hésité à traverser l’Atlantique pour effectuer un deuxième master et un doctorat à la prestigieuse université de Stanford. A aujourd’hui 61 ans, cette enseignante-chercheuse spécialisée dans l’analyse du risque multiplie les hautes fonctions. Elle préside notamment le département de science et d’ingénierie du management de Stanford, ainsi que le comité consultatif de la Naval Postgraduate School de Monterey et siège au comité consultatif d’un laboratoire de la NASA. Cette Américaine d’adoption, qui avoue que la France lui manque assez peu, ne tarit pas d’éloges sur l’écosystème technologique de la région : « Une des beautés de la Silicon Valley, c’est qu’on y fait de la science tout le temps, mais en traduisant immédiatement ces recherches en technologies effectives. »

Pour son collègue Jean-Claude Latombe, enseignant-chercheur à Stanford spécialisé dans l’intelligence artificielle, il est difficile de trouver ailleurs dans le monde « un environnement universitaire aussi bon et aussi bien placé ». En effet, en plus de ce contexte favorable à l’innovation technologique, les Français expatriés plébiscitent le cadre de vie de la région. Entre océan, collines et parcs naturels, le tout dans un climat ensoleillé, l’endroit a de quoi faire rêver. « La Silicon Valley, c’est dix fois l’environnement économique de Paris avec un cadre de vie équivalent à Grenoble », explique l’ancien Rhônalpin Dominique Lahaix, qui a fait le grand saut de l’immigration en s’installant à Mountain View il y a deux ans. L’ancien directeur de recherche et développement chez Hewlett-Packard réfléchit : « Un avocat installé dans la région depuis longtemps m’a dit que j’étais plus californien que lui, car un Californien, c’est un pionnier qui entreprend et qui prend des risques. En ce sens, je me sens plus californien qu’américain. »


Article publié dans le numéro de janvier 2010 de France-AmériqueS’abonner au magazine.