Documentaire

Sur la piste des pionniers du fleuve Colorado

En 1938, trois jeunes Français traversent l’Atlantique pour se rendre dans le grand ouest américain et entamer une expédition hors du commun : une descente en kayak de deux mois de la rivière Green et du fleuve Colorado. Soixante-quatorze ans plus tard, un réalisateur de Portland, Ian McCluskey, refait le périple et leur consacre un documentaire.
Courtesy of Ian McCluskey

Un été alors qu’il est étudiant en journalisme, le documentariste Ian McCluskey travaille à actualiser un guide sur le Wyoming. Il arpente l’Etat pour vérifier les informations sur les tarifs hôteliers et autres adresses du coin, quand il fait une découverte charmante : dans le petit parc municipal d’Expedition Island, à Green River, il trouve un panneau, hommage à trois Français qui ont été les premiers à descendre la rivière Green et le fleuve Colorado en kayak, en 1938. La photo du trio, jeune et beau, envoûte l’Américain : « J’étais inspiré par leur joie de vivre, j’avais envie de partager cette entreprise avec eux », raconte-t-il.

Hanté par cette anecdote, il y revient bien plus tard, une fois devenu réalisateur. « Je me suis rendu aux archives de l’université de l’Utah, j’ai trouvé un numéro de téléphone, j’ai appelé et – incroyable – je suis tombé sur le type qui avait installé le panneau dans le parc ! » L’archiviste en question, Roy Webb, fait aujourd’hui partie de l’équipe de NW Documentary, qui prépare un film sur cette initiative extraordinaire. Il avait déniché l’histoire dans les années 1980, mais elle n’avait intéressé personne avant Ian McCluskey. Pourtant, le périple tient de l’épopée.

60 jours, 900 miles

Tout juste mariés, Bernard et Geneviève de Colmont choisissent un voyage de noces atypique. « Ils avaient une vie confortable, ils auraient pu aller skier en Suisse ou se promener en Italie », s’étonne le documentariste, « mais ils ont choisi l’aventure ». Avec leur ami Antoine de Seyne, ils prennent le train de Paris jusqu’en Normandie, traversent l’Atlantique en bateau et achètent une Lincoln d’occasion pour rallier New York au Wyoming. Il leur aura fallu un mois pour simplement arriver au point de départ de leur itinéraire : ils ont encore devant eux plus de 60 jours et 900 miles (environ 1 400 kilomètres) à parcourir, sur des eaux tumultueuses. Plus incroyable encore : le trio filme sa descente en kayak, en 16 millimètres et en couleur !

« Ce n’était pas du tout courant à l’époque d’enregistrer ainsi ses propres pérégrinations », rappelle Ian McCluskey. « Ils étaient des pionniers et la couleur était rarissime. Même à Hollywood, on s’en servait à peine ! » Bernard de Colmont, le jeune marié et cinéaste débutant, met en scène le voyage, les rapides, les réparations des kayaks, les pauses… Des archives précieuses qu’Ian McCluskey va exploiter, avec le journal de bord d’Antoine de Seyne. L’équipe du documentaire mène une véritable enquête, à la recherche de photos, lettres et documents témoignant du passage des Français. « A chaque nouvelle trouvaille, j’ai des frissons », confie le réalisateur qui a reproduit leur expédition en septembre.

Western moderne

Comme Bernard de Colmont dans les années 1930, Ian McCluskey est en train d’apprendre à pagayer. Il s’est également mis au français pour un futur voyage dans l’Hexagone, où le couple avait ouvert un restaurant. « À leur retour en France en 1939, les trois pionniers ont été salués comme des explorateurs exceptionnels », raconte Ian McCluskey. « Mais ils sont vite tombés dans l’oubli quand la huerre a éclaté. » Ces voyageurs ont capturé l’image d’un ouest américain en pleine transition, au lendemain de la construction du barrage Hoover, inauguré en 1935. « C’était avant les autoroutes, avant que l’électricité se généralise, quand il y avait encore plus de chevaux que de voitures », s’émerveille le documentariste sur leur piste.

Depuis, le cours des rivières a changé et l’équipe de tournage qui se rend sur place ne pourra pas effectuer exactement le même parcours, certains tronçons étant maintenant à sec. Il y a encore des trous à combler dans l’histoire des personnages. « Ils se sont surnommés les ‘voyageurs sans trace’, parce qu’ils se percevaient comme insignifiants dans le vaste monde », analyse le réalisateur passionné. « Et aussi parce que les ondulations dans l’eau nées de leur passage disparaissaient instantanément. » Pourtant, l’Américain les a bien retrouvés et « espère que cela en inspirera d’autres ».


Mise à jour : Le documentaire Voyagers Without Trace de Ian McCluskey est sorti en 2015.