The Obsolete Distinction Between Right and Left

A suivre les élections américaines et françaises, il est ardu d’y appliquer la distinction droite-gauche comme grille de lecture. Le partage à l’européenne entre libéraux et socialistes ne fonctionne pas aux Etats-Unis, puisque le socialisme n’y est pas représenté et que les candidats sont tous favorables à un capitalisme plus ou moins réglementé.

Peut-être devrait-on adopter un nouveau mode d’intelligence de la politique et distinguer les partisans de la société ouverte rassemblés derrière Hillary Clinton, qui se trouve être Démocrate, face aux adeptes de la société fermée derrière Donald Trump, qui se réclame vaguement du Parti Républicain.

Ces deux conceptions permettent d’introduire un minimum de clarification dans les positions de l’un et de l’autre. Trump, qui manque de connaissances mais pas de cohérence, est contre l’immigration, contre les religions non protestantes, contre les non Blancs, contre les importations, mais pour les interventions de l’armée américaine à l’étranger. Sa vision de la société est quasiment tribale. Il est partisan d’un Etat fort, centralisé et qui prendrait toutes les décisions sans concerter l’opposition, ni la société civile. Sans surprise, Trump manifeste de la sympathie pour les dictateurs qui partagent ses conceptions nationalistes, autarciques et étatistes—à commencer par Vladimir Poutine.

Ce à quoi on peut opposer point par point le programme d’Hillary Clinton, ouverte à la diversité ethnique, culturelle, religieuse et sexuelle de la nation, plutôt favorable aux échanges internationaux et à l’activisme diplomatique et militaire. Elle est également disposée à la négociation avec ses adversaires politiques, qu’elle ne dénonce pas comme ennemis. Elle n’est pas pour autant une libérale classique au sens français du terme, puisqu’elle penche pour un Etat interventionniste et régulateur.

Les deux candidats illustrent un reclassement des normes politiques, chacun empruntant un peu à la gauche, un peu à la droite, un peu à la tradition Républicaine, un peu à la tradition Démocrate, sans coïncider complètement avec les partis dont ils se réclament. Donald Trump rompt avec la position des Républicains traditionnels quant à l’immigration, au commerce mondial et à la propagation internationale de la démocratie. Hillary Clinton rompt aussi, mais de manière moins spectaculaire que son adversaire, avec la prudence des Démocrates sur l’usage de l’armée pour résoudre les conflits internationaux.

On m’objectera que ce reclassement entre société ouverte et société fermée est un accident de parcours circonstanciel, spécifique aux Etats-Unis et conséquence de la personnalité extravagante de Donald Trump. Cette interprétation est envisageable, mais peu certaine. On peut aussi deviner dans cette élection une sorte de laboratoire du futur qui vaudrait pour l’Europe. Ainsi, le récent référendum britannique sur la sortie de l’Union Européenne n’a pas opposé la droite conservatrice à la gauche travailliste, mais les partisans de l’ouverture à ceux de la fermeture. Même chose en Espagne, où la fragmentation du Parlement, pour la deuxième fois consécutive, est due à un système de partis à l’ancienne qui ne reflètent plus le nouveau partage entre ouverture ou fermeture. L’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa suggérait lui-même une coalition de gouvernements, avec les partisans “ouverts” de l’Europe d’un côté et les tenants “fermés” du tribalisme de l’autre.

Il en va de même en France, où les militants de l’ouverture et ceux de la fermeture se trouvent dispersés entre des partis archaïques, hérités du passé révolutionnaire, à qui l’on doit les termes de droite (partisans d’une monarchie constitutionnelle en 1792) et de gauche (partisans d’une république), mais qui ne sont plus le reflet des enjeux et des tempéraments contemporains. Si l’on applique notre nouvelle ligne de partage à la France, des candidats que tout oppose cohabitent subitement au sein d’un même groupe : du côté d’une société ouverte, Emmanuel Macron, François Fillon, Alain Juppé et François Hollande, et du côté d’une société fermée, identitaire et nationaliste, Nicolas Sarkozy, Jean-Luc Mélenchon, Arnaud Montebourg et Marine Le Pen.

En vérité, les candidats aux élections parlementaires ou présidentielles ne se rangent sous la bannière des partis anciens que pour des raisons pratiques et d’opportunité : ces partis contrôlent encore l’organisation et les ressources qui permettent d’être candidat. Les électeurs ? Ils ne s’y retrouvent plus et les résultats ne permettent pas de constituer des gouvernements cohérents : on le constate en Grande-Bretagne autant qu’en Espagne, en France et aux Etats-Unis.

Comment sortir de cette grisaille et restaurer des options claires en démocratie ? On peut créer de nouveaux partis. Aux Etats-Unis, le parti Républicain a été tué par Donald Trump et devra renaître sous une autre forme, après avoir choisi entre ouverture et fermeture. Même chose en France pour les Républicains et les Socialistes. A peu près partout en Europe et aux Etats-Unis, les appellations des partis ne correspondent plus au choix ouvert ou fermé : la distorsion est générale.