Dans les recherches qui mènent à nos histoires, dans les histoires qui mènent à nos films, dans nos quêtes, souvent, il y a d’abord des fenêtres. Ici, à New York, nous sommes arrivés de nuit. Dès le début, il y a eu des milliers de ces points colorés, comme des constellations à explorer.
Les fenêtres sont comme des promesses, de mondes à découvrir, d’histoires à dévoiler, derrière des rideaux tirés. Dans ce pays sans volets, on voit sous les voilages les ombres se déplacer, et déjà on se raconte des bouts de vies. Deux silhouettes qui se rapprochent, un enfant qui colle son front à la vitre pour regarder la lune, deux regards voisins qui se croisent d’un immeuble à l’autre, qui se cherchent ou qui s’esquivent.
Pour écrire nos films, nous plongeons dans le réel avant d’inventer des fictions. Ici, notre fenêtre donne sur la 122e Rue, au cœur d’un Harlem fantasmé de loin, que nous explorons à présent pour trois mois, en cherchant à plonger dans d’autres vies que la nôtre. Au début du mois de décembre, nous avons rendu visite à un homme qui a perdu la vue. Afro-américain, vétéran du Vietnam, il a grandi sur Malcolm X Boulevard, a fait le tour du pays et vit désormais ici, dans un de ces immeubles de briques rouges. Ces housing projects à l’image ternie et au plan en forme de croix poussent ici comme des champignons et nous renvoient à la cité Gagarine.
Au 7e étage d’un immeuble abîmé, il déploie sa canne blanche et nous invite à le suivre. En avançant dans les couloirs aux teintes pastel délavées, l’homme à la longue silhouette chantonne pour se guider. Une femme âgée, de moitié sa taille, sweat-shirt vert pistache et barrette dans les cheveux, ouvre sa porte et nous laisse entrer. Ils sont amis depuis dix ans. Elle lui prête ses yeux et l’aide à se mouvoir dans cette ville qui change tout le temps. Ils s’engueulent et s’entraident, se sentent parfois seuls au monde.
En les regardant, en les écoutant vivre, dans ce petit appartement aux fenêtres masquées par des draps froissés, comme pour se protéger d’un monde extérieur qu’ils disent plus violent que jamais, des portes s’ouvrent, des liens se créent, des imaginaires se tissent. Un poème de Baudelaire, « Les Fenêtres », nous vient à l’esprit : « Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. »
Article publié dans le numéro de janvier 2022 de France-Amérique. S’abonner au magazine.