Un siècle d’art américain inspiré par Matisse

Depuis sa première exposition aux Etats-Unis au début du XXe siècle, Matisse n’a cessé d’être une source d’inspiration pour les artistes américains. Le Montclair Art Museum (New Jersey) présente jusqu’au 18 juin une exposition consacrée à l’impact de Matisse sur l’art moderne américain. La conservatrice Gail Stavitsky revient pour France-Amérique sur l’influence du peintre français sur l’art américain.

France-Amérique : Comment le travail de Matisse est-il arrivé aux Etats-Unis ?

Gail Stavitsky : La première exposition américaine des œuvres de Matisse a eu lieu en 1908 à la galerie 291 d’Alfred Stieglitz à New York. Le peintre français a ouvert la voie à l’innovation en matière de couleurs, de lignes et de formes et s’est rapidement forgé une réputation d’innovateur et de révolutionnaire. Ses confrères américains n’ont pas tardé à suivre son exemple et à adapter ses créations les plus innovantes. La plus ancienne œuvre de notre exposition est un paysage de l’Américain Walter Pach (1883-1958), qui a passé quelque temps auprès de l’avant-garde parisienne. Son tableau On the Arno (1907) offre une des premières interprétations du style de Matisse. Cette exposition démontre que l’art américain n’a pas attendu les années 1940 et l’avènement de l’expressionnisme abstrait pour s’imposer. Les Américains ont eu une compréhension de l’art moderne depuis longtemps.

Quel artiste américain vous fascine particulièrement par son interprétation de Matisse ?

Je citerais Morton Livingston Schamberg (1881-1918). Les épais contours bleus, les couleurs non naturalistes et les formes simplifiées de son portrait de Fanette Reider, Study of a Girl (1912), sont très « matissiens ». Mais on reconnaît immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un Matisse. C’est là tout l’attrait de la carrière complexe et variée du peintre français : elle permet de multiples inspirations. Certaines des techniques de Matisse, comme les papiers découpés qu’il a développé au cours des dernières années de sa vie, ont inspiré les artistes américains comme Robert Motherwell (1915-1991), membre du mouvement de l’Ecole de New York, ou encore Eric Carle (aujourd’hui âgé de 87 ans), auteur et illustrateur de La Chenille qui fait des trous. Les artistes américains ne se sont pas contentés de copier bêtement Matisse. Il a été pour eux un modèle libérateur.

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Morton Livingston Schamberg, Study of a Girl (Fanette Reider), 1912.
© Williams College Museum of Art

L’influence de Matisse est-elle encore visible dans l’art américain de nos jours ?

Tout à fait. Citons par exemple John Baldessari (né en 1931), un artiste conceptuel installé en Californie. Dans son travail, il s’approprie un thème cher à Matisse : le bocal de poissons rouges. C’est à la fois une métaphore de l’atelier de l’artiste — le poisson regarde le monde depuis son bocal de verre et l’artiste observe la réalité depuis la fenêtre de son atelier — et un autoportrait symbolique de Matisse, qui avait les cheveux roux dans son enfance. Baldessari reprend et amplifie le sujet du bocal et en crée huit versions différentes qu’il appelle Eight Soups, en référence aux Campbell’s Soup Cans d’Andy Warhol. Que ces artistes se réapproprient les thèmes traités par Matisse ou qu’ils adaptent certains aspects de son style, de nombreuses caractéristiques de son travail ont été reprises de manière originale par des artistes américains, depuis 1907 et jusqu’à aujourd’hui.