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A Paris, le nouveau triangle d’or de l’art contemporain

Le cœur artistique de la capitale poursuit sa migration. Après Montmartre et Montparnasse, après Saint-Germain-des-Prés et le Marais, les galeries investissent le 8e arrondissement et les Champs-Elysées. Au cœur du fameux « Triangle d’or », se scelle le mariage du luxe et de l’art contemporain.
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Le Louvre des antiquaires, un centre commercial de 1852, accueillera bientôt la Fondation Cartier pour l’art contemporain. © Grégory Copitet/RDAI/SFL

Où bat aujourd’hui le cœur de Paris ? Pendant longtemps, Saint-Germain-des-Prés, sur la Rive gauche, avec sa bohème, ses existentialistes, sa vie nocturne et son Café de Flore, a été, après Montmartre et Montparnasse, le centre artistique de la capitale. Puis est venu le temps du Marais, avec ses hôtels des XVIIe et XVIIIe siècles : à la fin des années 1970, après l’ouverture du Centre Pompidou, le MoMA français, les galeristes ont traversé la Seine pour essaimer à proximité des élégantes arcades de la place des Vosges. Présents aujourd’hui à New York, Hong Kong ou Dubaï, hissant haut leur pavillon dans toutes les grandes foires, les grands du marché de l’art affluent Rive droite. Destination le 8e arrondissement et plus particulièrement le « Triangle d’or », ce quartier délimité par les Champs-Elysées, l’avenue Montaigne et l’avenue George-V.

Sur place, ils trouvent un écosystème bien installé pour représenter leurs nouveaux poulains. Les deux grandes maisons de vente aux enchères y ont leurs bureaux : Christie’s (la propriété du milliardaire français François Pinault), avenue Matignon, et Sotheby’s (celle de Patrick Drahi, autre milliardaire français), rue du Faubourg-Saint-Honoré. Larry Gagosian, le galeriste le plus puissant au monde avec 300 employés et 19 espaces d’exposition sur trois continents, les y a suivi en 2010, près du rond-point des Champs-Elysées – avant de doubler la mise en 2021 rue de Castiglione, à deux pas de la place Vendôme, vitrine du luxe à la française. L’Américain a depuis fait des émules : si l’Allemand David Zwirner, propriétaire de quatre galeries à New York, reste fidèle au Marais, les Suisses d’Hauser & Wirth ouvriront bientôt leur premier espace parisien au 26 bis rue François-Ier, à mi-chemin entre Dior et Hermès.

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L’espace d’exposition de Christie’s, au 9 avenue Matignon. © Christie’s
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En 2020, Perrotin a ouvert une nouvelle galerie avenue Matignon, à deux pas des Champs-Elysées. © Atelier Senzu

Rien ne vaut un écrin classique pour mettre en valeur des artistes subversifs. Hauser & Wirth, pour ne citer qu’eux, investira les quatre étages d’un hôtel particulier de 1877, sur 800 mètres carrés. Mais dans ces glissements géographiques, où la mode compte autant que la sociologie des quartiers, les personnalités fortes sont des locomotives. Iconoclastes et sans complexes, les galeristes parisiens Emmanuel Perrotin et Kamel Mennour – les deux enfants terribles du marché de l’art contemporain – adorent les contrepieds. Cette fois, c’est Mennour qui a ouvert le bal. En 2016, à la surprise de tous, le galeriste d’Anish Kapoor, Daniel Buren et Ugo Rondinone doublait sa galerie du 6e arrondissement, près de Saint-Germain-des-Prés, en s’installant avenue Matignon, à 300 mètres du palais de l’Elysée. Perrotin l’a imité en 2020. Six mois après avoir vendu pour 120 000 dollars la dernière « œuvre » de son ami Maurizio Cattelan, une banane scotchée sur un mur à Art Basel Miami, il complétait son hôtel particulier du Marais par un nouvel espace, lui aussi situé avenue Matignon. Les deux compères y voisinent la White Cube londonienne, mère de toutes les galeries contemporaines. L’ex-rampe de lancement des Young British Artists, inaugurée à Paris en 2019, rêve de rendre le même service aux jeunes talents français.

Après la Suisse et Miami, Art Basel à Paris

Rive gauche ou Rive droite ? Faut-il même choisir ? Si les galeristes redonnent de l’éclat à une partie de la Ville Lumière jugée endormie, embourgeoisée, envahie par les touristes, foires et expositions rappellent la contribution des deux ventricules du cœur artistique français. En octobre dernier, les médias américains, impressionnés par l’afflux de grands noms, saluaient l’ouverture de Paris+, la première édition française d’Art Basel. « Paris is booming », titrait CNN. En attendant la fin des travaux de rénovation du Grand Palais, le monument Belle Epoque en bordure des Champs-Elysées, l’événement qui remplace la défunte Foire internationale d’art contemporain (FIAC) se tient dans les jardins du Champ-de-Mars, au Grand Palais Ephémère. Avec sa charpente en bois, son immense baie vitrée en demi-lune qui encadre la tour Eiffel, cette structure écoresponsable conçue par l’architecte vedette Jean-Michel Wilmotte est prévue pour accueillir des épreuves des Jeux olympiques de 2024. Elle se prête aussi à merveille aux méga-expositions : FIAC 2021, Paris+, Paris Photo, Anselm Kiefer ou encore Le Grand Numéro de Chanel, qui vient de s’achever.

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Le Grand Palais Ephémère, dans les jardins du Champ-de-Mars. © Wilmotte & Associés
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La première édition de la foire d’art contemporain Paris+, en octobre 2022, a réuni 156 galeries. © Paris+ par Art Basel
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L’exposition Shéhérazade la nuit, qui vient de s’achever au Palais de Tokyo, le plus grand centre d’art contemporain d’Europe. © Quentin Chevrier/Palais de Tokyo

Paris+ par Art Basel – c’est son nom complet – donne un coup de jeune aux foires artistiques. Moins d’exposants (156 galeries en 2022) mais un public de collectionneurs plus exigeants, comme l’attestent la qualité des œuvres (de Joan Mitchell à Alberto Giacometti), le volume des transactions et les prix, souvent avec cinq ou six zéros ! Objectifs de cette première édition : en finir avec la valse des millions de la foire de Miami et compenser la jeunesse de l’événement en ancrant celui-ci au sein du paysage culturel local, en perpétuel renouvellement. Paris fait preuve de sa vitalité. Parmi les symboles les plus récents, citons l’inauguration de la Collection Pinault dans l’ancienne Bourse de commerce, transformée par Tadao Andō en temple de l’art contemporain, et l’extension dans le Marais de la Fondation Henri Cartier-Bresson, consacrée au travail du célèbre photographe. (Clément Chéroux, ancien conservateur en chef de la photographie au MoMA, en a pris la direction.) Sans oublier le déménagement en 2024 de la Fondation Cartier pour l’art contemporain dans le bâtiment du Louvre des antiquaires, un centre commercial de 1852 en cours de rénovation. Ni le projet de Maison LVMH, « un lieu dédié au patrimoine artistique et au spectacle vivant, aux expositions, aux métiers d’art et à l’artisanat » dans le bois de Boulogne, à côté du vaisseau imaginé par Frank Gehry pour la Fondation Louis Vuitton.

L’arrivée à la direction du musée du Jeu de Paume en 2019 de Quentin Bajac, un autre ancien du MoMA, et la montée d’une nouvelle génération aux commandes des grandes institutions parisiennes comme le Louvre, le Centre Pompidou et les 22 000 mètres carrés du Palais de Tokyo – le plus grand centre d’art contemporain d’Europe – renforcent l’attrait d’une ville en communion avec son siècle. Voici donc Paris avec une voie royale devant elle : Londres est empêtrée par le Brexit et la foire de Hong Kong constamment annulée ou reportée pour cause de pandémie. Et la puissance du dollar par rapport à l’euro qui stimule les achats des collectionneurs américains… Fourmillant de musées, hôtels et restaurants, la capitale française joue la carte du luxe et de l’art de vivre. « Paris est une fête », écrivait Ernest Hemingway à propos de la ville qu’il découvre dans les années 1920. Un siècle plus tard, la belle endormie de l’art contemporain semble avoir repris des couleurs !


Article publié dans le numéro de février 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.