Entretien

Le français en crise dans les universités américaines ?

Selon le dernier rapport de la Modern Language Association, qui fait chaque année l’état des lieux de la place des langues dans l’enseignement supérieur américain, 129 programmes de français ont été supprimés entre 2013 et 2016. Karl Cogard, attaché de coopération éducative à l’ambassade de France à Washington D.C., fait le point sur cette situation inquiétante.
[button_code]
Harvard University.

France-Amérique : Toutes langues confondues, 651 programmes universitaires ont été supprimés, précise le rapport de la Modern Language Association. Comment expliquer une telle perte de vitesse des langues étrangères ?

Karl Cogard : Les coupes budgétaires liées à la crise de 2008 ont entraîné de nombreuses fermetures de départements. Les cours de langues, qui sont souvent les moins populaires et donc les moins rentables, ont été les premiers à être supprimés par les universités. Par ailleurs, certains politiciens ont aussi déclaré que l’argent du contribuable n’a pas à financer des programmes universitaires qui ne débouchent pas sur un métier concret. Eastern Kentucky University a ainsi perdu treize millions de dollars de subventions publiques et a dû supprimer neuf programmes, dont celui de français.

Aux Etats-Unis comme en France, la « rentabilité » des filières est au cœur du débat…

Les études supérieures, même dans une université publique, coûtent de plus en plus cher. Les étudiants ne peuvent plus se permettre de suivre des cours de sciences humaines uniquement pour se former l’esprit ; ils sont de plus en plus nombreux à souhaiter une éducation rentable comme le commerce ou l’ingénierie, qui leur permet de décrocher, en fin de parcours, un emploi et de rembourser leurs emprunts. C’est dans ce contexte très dur pour les humanités de rivaliser.

Parallèlement, les programmes bilingues anglais-français sont de plus en plus populaires. N’est-ce pas un paradoxe ?

Les départements de français ne se placent pas dans le même contexte que les écoles bilingues. Ces programmes offrent de nombreux bénéfices cognitifs, de meilleurs résultats scolaires et une ouverture culturelle – des arguments dont ne jouent pas les universités. Les universités campent sur une position traditionnelle, un enseignement des humanités qui n’attire plus, alors que les écoles d’immersion répondent davantage à l’air du temps et aux préoccupations des parents et des élèves.

Quelle est la solution pour sauver les départements de français ?

Tous les étudiants ne veulent pas devenir spécialistes de la littérature française du XVIIe siècle ; c’est aux universités de diversifier leur offre. Prenez l’exemple du master de français professionnel offert à l’Université du Wisconsin à Madison, un programme très populaire. Il combine des cours de français à des cours en communication stratégique, santé publique, marketing ou encore relations publiques. Pour accueillir les étudiants des premières classes d’immersion, actuellement au lycée, les universités publiques de l’Utah sont en train de mettre en place des cours de langue destinés aux professionnels : français des affaires, français du droit, français du tourisme, etc.

Une manière de montrer que le français peut aussi être un atout professionnel…

C’est la tendance à la mode. L’ambassade de France aux Etats-Unis aide les universités qui souhaitent créer un programme de français professionnel en organisant des séminaires à destination des professeurs. Trois formations animées par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris auront lieu cette année à UCLA en Californie, à l’université Johns Hopkins à Baltimore et à l’Université de Floride à Gainesville. Un diplôme en français professionnel peut aider une université à maintenir son département de langues. Les community colleges s’y intéressent aussi : un programme de français de la santé est à l’étude dans un établissement du Maryland.