Les serveurs français sont-ils impolis ?

Grossier ou simplement français ? Le serveur d’un restaurant de Vancouver affirme avoir été renvoyé parce que sa culture est « plus directe et expressive » que celle de ses collègues nord-américains.

« Très décrié et souvent mal compris, le serveur français est une espèce impénétrable », écrivait l’éditorialiste Cristina Nehring dans le Wall Street Journal en 2015. Le constat semble encore valable aujourd’hui : Guillaume Rey, un serveur français travaillant dans un restaurant de Vancouver, pense avoir été licencié en raison de sa « culture » française.

Il aurait été « agressif, grossier et impoli envers la gérante et un autre employé ». Dans la plainte qu’il a déposée devant le tribunal des droits de la personne de Colombie Britannique, il estime que son attitude, « honnête et professionnelle » selon les standards de l’hôtellerie française, n’a pas convenu à ses collègues.

Faut-il voir dans cette affaire la validation du cliché du garçon de café parisien peu aimable ? Ou de celui du Français snob à l’étranger ? « Nous ne pouvons que faire des conjectures, sur ce qu’il s’est passé dans le restaurant, mais plusieurs facteurs peuvent expliquer la manière dont son comportement a été perçu », analyse la journaliste et écrivain canadienne Julie Barlow.

Le goût de la contradiction

« Les Français tendent à dire ‘non’. Cela sonne comme un refus de communiquer, alors même que c’est une manière d’entamer la conversation et d’inviter les gens à répondre. Pour les Américains ce réflexe peut être choquant, car ils ne savent pas comment réagir. » Selon le Wall Street Journal, la réplique favorite du garçon de café serait « C’est pas possible ! ».

En Amérique du Nord, les interlocuteurs cherchent le consensus. Les Français, eux, aiment la provocation. « On associe politesse et conversation française, mais les Français préfèrent que les discussions soient animées », poursuit Julie Barlow. « Ils ont tendance à dire des choses à la limite de la grossièreté pour provoquer une réponse. » L’échange d’opinions est valorisé et le désaccord nourrit la conversation. « Les étrangers peuvent être déstabilisés. »

Les Français ne sont pas différents sur leur lieu de travail. « Ils s’attendent à pouvoir exprimer leurs opinions sur tout ce qui les touche. Dans un domaine où la hiérarchie est très établie, comme c’est le cas des restaurants, cela peut mal se passer. »

Le garçon de café maussade, un cliché ?

Aux Etats-Unis et au Canada, le service en restauration est souvent un travail alimentaire ou temporaire. En France, c’est une véritable carrière à laquelle il faut se former. Le serveur n’a pas à être souriant, il n’interrompt pas un dîner, ni pour demander si « tout va bien », ni pour apporter l’addition.

En vivant à Paris, Cristina Nehring se rappelle avoir été intimidée par les serveurs français, au restaurant. « J’avais l’impression d’être constamment en train de faire des erreurs, à leurs yeux », écrit-elle. « Avec le temps, j’ai appris à reconnaître — et à apprécier — l’étrange expression de leur désir de satisfaire, leur expertise, leur agilité et la beauté de ce qu’ils font. »

« Pour les Français qui viennent travailler au Québec, comme pour les Québécois qui s’installent en France, il y a des ajustements à faire. C’est une question de survie », s’amuse Julie Barlow. Elle-même a appris à dire « non » et « bonjour » en s’installant à Paris. « Après quatre mois en France, j’ai donné une opinion honnête sur ce que je mangeais pour la première fois de ma vie. Quand le serveur m’a demandé si j’avais apprécié, j’ai répondu ‘non’. En Amérique du Nord, on dit oui et on réduit le pourboire ! »

=> Julie Barlow et Jean-Benoît Nadeau, The Bonjour Effect, St. Martin’s Press, 2016, 25,99 dollars.