Entretien

« Il est plus simple d’interdire le foie gras que de s’attaquer aux éleveurs de poulets »

Mark Caro, ancien journaliste au Chicago Tribune, est l'auteur du livre The Foie Gras Wars (2009) pour lequel il a interviewé pendant cinq ans des producteurs américains et français de foie gras ainsi que des défenseurs de la cause animale. Au lendemain de l'entrée en vigueur de l’interdiction du foie gras en Californie, il revient sur le sujet et explique comment ce produit est devenu le met français qui divise l’Amérique.

France-Amérique : Votre livre est le fruit de cinq années de recherches. Comment votre enquête a-t-elle commencé ?

Mark Caro : Il m’était déjà arrivé de manger du foie gras – et je trouvais cela délicieux – mais je n’étais pas au courant de la controverse. En mars 2005, lorsque le chef le plus réputé de Chicago, Charlie Trotter, a annoncé qu’il arrêtait de servir du foie gras, cela m’a intrigué. J’ai donc parlé à des chefs autour de moi, à des producteurs new-yorkais et californiens ainsi qu’au fondateur de Farm Sanctuary, l’association de protection des animaux qui menait l’ensemble des manifestations anti-foie gras à cette époque. Je me suis également rendu en France où j’ai visité sept fermes dans le Sud-Ouest et en Alsace. Je voulais savoir si je devais me sentir coupable ou non de manger du foie gras.

Votre premier article sur le foie gras, publié en 2005, a conduit à une interdiction du foie gras à Chicago. Quel était le climat à cette époque ?

Tout est parti d’une guerre entre chefs. Puis les célébrités se sont immiscées dans le débat. Les actrices de télévision Melissa Rivers (Beverly Hills) et Bea Arthur (Les Craquantes) ont expliqué pourquoi le foie gras était mauvais pour les canards. Loretta Swit (MASH) a même comparé le gavage des canards au traitement des prisonniers d’Abou Ghraib! Un membre du conseil municipal a ensuite proposé d’interdire la production et la vente du foie gras. Cette mesure a été effective de 2006 à 2008. Toutefois, les conseillers qui ont voté n’avaient aucune idée de ce qu’était le foie gras. Ils se sont contentés de suivre une mode. Le débat autour du foie gras est plus complexe que ça : c’est ce que montre mon livre.

Que vos recherches et vos entretiens vous ont-ils appris ?

J’ai trouvé que le traitement des animaux était plus humain et plus transparent chez le producteur Hudson Valley Foie Gras, qui nourrit ses canards de manière artisanale, que dans n’importe quel élevage industriel de poulets. Un groupe comme Tyson n’autorise pas les journalistes à visiter ses fermes. Selon mes observations chez Hudson Valley Foie Gras, les canards ne souffraient pas. Les associations de défense des animaux jouent le jeu de la facilité en véhiculant une image anthropomorphe des canards. Il est évident que je vais vomir si on me plonge un tuyau dans la gorge, mais les canards n’ont pas ce réflexe et sont capables d’avaler des poissons entiers.

Pensez-vous que les producteurs de foie gras soient traités injustement ?

Les fermiers estiment qu’ils sont persécutés. C’est facile de s’en prendre au foie gras : il s’agit d’un produit français, de canard (un animal que tout le monde adore), d’un foie qu’on engraisse et d’une transformation répugnante. C’est bien plus facile que de s’attaquer à l’industrie du poulet. On interdit le foie gras, mais on ferme les yeux sur les conditions horribles dans lesquelles sont élevées les volailles. Plus de neuf milliards de poulets sont tués aux Etats-Unis chaque année contre 31 millions de canard. Le foie gras est-il vraiment le plus grave ?

Votre opinion du foie gras a-t-elle changé pendant vos recherches et l’écriture de votre livre ?

Je continuer de manger du foie gras, mais je fais davantage attention à la provenance de ce que je consomme et je me force à acheter les œufs et le bacon au marché. Plus vous encouragez les petits producteurs, plus vous encouragez un système qui respecte les animaux. Mais en fin de compte, c’est un choix personnel : qu’est–ce que je m’autorise à manger et qu’est-ce que je refuse de manger ?


The Foie Gras Wars:How a 5,000-Year-Old Delicacy Inspired the World’s Fiercest Food Fight de Mark Caro, Simon & Schuster, 2009.