Livres

Blaise Cendrars, un poète à Hollywood

En 1936, le poète et romancier est envoyé en Amérique par le quotidien Paris-Soir pour écrire un reportage sur la ville du cinéma. Il y restera seulement quinze jours, trop peu pour rencontrer les stars et les réalisateurs, mais en tirera néanmoins un livre très personnel sur le Hollywood des années 1930. Un épisode que l'on redécouvre à l'occasion de l'exposition Blaise Cendrars: Poetry Is Everything, à la Morgan Library & Museum de New York jusqu'au 24 septembre.
Blaise Cendrars à Paris, en 1961. © AFP

A en croire ses écrits, Blaise Cendrars a pris le Transsibérien à 16 ans, en 1904, vécu des aventures en Chine et chassé l’éléphant en Afrique. La réalité est plus prosaïque: Cendrars, né Frédéric-Louis Sauser en Suisse en 1887, est envoyé à 17 ans par son père chez un joaillier de Saint-Pétersbourg en raison de ses mauvais résultats scolaires. Et contrairement à ce que pourrait laisser croire La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France (1913), son plus célèbre poème, il ne traversa jamais les steppes russes. Mais il fut un grand voyageur.

En 1911, il séjourne pour la première fois à New York où il éprouve la modernité et la vitesse. Il y écrira son premier poème, Les Pâques, devenu en 1919 Les Pâques à New York, une déambulation libre dans les rues de la ville qui ouvrira la voie à la poésie moderne. Auteur de grands romans comme L’Or (1925) ou Moravagine (1926), il découvre le journalisme dans les années 1930, notamment grâce à son ami Pierre Lazareff, patron du quotidien Paris-Soir, qui l’envoie en Amérique à bord du paquebot Normandie. C’est à lui qu’il dédie Hollywood, la mecque du cinéma (1936), un livre inclassable et teinté d’humour qui préfigure le journalisme littéraire et la non-fiction, si populaires aujourd’hui en France comme aux Etats-Unis.

Quand Blaise Cendrars arrive à Hollywood, le cinéma parlant n’existe que depuis neuf ans et les noms des stars du muet, comme Clara Bow ou William S. Hart, sont encore sur toutes les lèvres. En seulement vingt-cinq ans, ce « lointain faubourg de Los Angeles » est devenu la capitale du septième art. C’est d’abord une impression de jeunesse, de fièvre et de mouvement perpétuel qui se dégage de Hollywood, la mecque du cinéma. Dans cette ruche qui lui rappelle le quartier parisien de Montparnasse, Blaise Cendrars marche dans les rues – une attitude parfaitement incongrue dans une ville dédiée à la voiture –, observe les jeunes gens, rapporte des anecdotes sur le prestige de la France en Amérique, se passionne pour les statistiques.

Passé ce premier enthousiasme, il découvre un pays en crise et une ville hérissée de murs, une « cité interdite » qui se barricade derrière des murailles, rejette l’étranger, le pauvre ou le vagabond, souvent venu d’un Etat voisin. Arrivé à la porte des grands studios, l’écrivain journaliste se heurtera à des portes closes, gardées par des cerbères qui découragent quiconque, aspirant figurant ou scénariste, de tenter sa chance dans le cinéma. Est-ce pour cette raison que Cendrars n’a pas réussi à rencontrer les grands réalisateurs et acteurs de l’époque ? Dans l’un des passages les plus amusants du livre, il raconte son rendez-vous manqué avec Ernst Lubitsch, congédié par la Paramount alors qu’il tournait un film avec Greta Garbo et Charles Boyer.

Trop occupé pour rencontrer l’écrivain français, le grand cinéaste accepte finalement un entretien téléphonique, à quatre heures du matin pour donner son avis sur « la crise des stars » à Hollywood. Trop beau pour être vrai ? « Plus un papier est vrai, plus il doit paraître imaginaire », écrit Cendrars, brouillant les pistes à l’infini. Aventurier et affabulateur magnifique, l’auteur de Bourlinguer (1948) fait du journalisme en poète, se fie à ses sensations, lâche la bride à son imagination. « Un reporter n’est pas un simple chasseur d’images, il doit savoir capter les vues de l’esprit », poursuit-il, avouant ne jamais prendre de notes pendant ses voyages.


Hollywood, la mecque du cinéma
de Blaise Cendrars, Grasset, 2005.


Article publié dans le numéro de juillet 2019 de France-AmériqueS’abonner au magazine.