Les clubs de lecture en France et aux Etats-Unis

Si le « book club » à l’américaine gagne en popularité auprès des Français, notamment via les réseaux sociaux, la culture de la lecture collective n’est pas aussi répandue en France qu’aux Etats-Unis. L’historien du monde de l’édition Jean-Yves Mollier compare les groupes de lecture américains, d’inspiration religieuse, et français, nés du militantisme ouvrier.

France-Amérique : Qu’est-ce qu’un club de lecture ?

Jean-Yves Mollier : Le club de lecture, ou cercle de lecture, ne recouvre pas la même réalité dans tous les pays. Aux Etats-Unis, il s’agit d’une réunion de plusieurs personnes, qui discutent de leurs lectures. C’est le modèle du célèbre club d’Oprah Winfrey. En Europe, les clubs de lecture sont plus proches du Left Book Club, une entité apparue au Royaume-Uni dans l’entre-deux-guerres, et dans l’Allemagne d’avant le nazisme. Il s’agissait d’une offre éditoriale : les réunions étaient organisées par des réseaux de libraires pour vendre des livres. Des dizaines de milliers de personnes appartenant aux classes les moins aisées adhéraient à ces clubs pour profiter de tarifs avantageux. Ces groupes se sont développés en France à partir de 1945 et existent encore aujourd’hui sous une forme résiduelle, avec France Loisirs notamment.

Les « book clubs » à l’américaine n’ont-ils donc pas existé en Europe ?

Au cours de l’histoire, il y a eu des formes de clubs de lecture qui ne portaient pas ce nom, mais qui furent bien le signe d’une appropriation collective d’ouvrages par des publics éloignés du monde du livre. Pendant la révolution industrielle du XIXe siècle, les usines se sont développées avant l’alphabétisation de masse et l’essor de l’instruction publique. Les milieux syndicaux et ouvriers tenaient alors des réunions lors desquelles on lisait le journal à voix haute. En 1862, les ouvriers se cotisaient pour acheter les dix volumes des Misérables de Victor Hugo. Les ouvriers formaient des clubs de lecture informels : ils lisaient les tomes, se les prêtaient et se retrouvaient pour en discuter. Ces groupes avaient une finalité idéologique : un projet socialiste, la démocratisation de la lecture. Leur public était militant.

Y a-t-il eu d’autres formes, non-militantes, du club de lecture ?

Dans les pays de tradition protestante, comme le Royaume-Uni, la Suisse et les Etats-Unis, les familles se retrouvaient pour lire la Bible. En Amérique, les femmes se réunissaient pour discuter des sermons du pasteur. Ce fut moins le cas en France, un pays de tradition catholique. Mais avant la Révolution française, il y aurait eu des « veillées des chaumières » lors desquelles on lisait des livres à plusieurs. Aucune trace matérielle ne permet de dire si elles étaient nombreuses ou régulières. Il faut se méfier des images : si beaucoup d’estampes montrent des lectures collectives, cela ne prouve pas qu’elles aient existé.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

L’expérience américaine du club de lecture « à la Oprah », avec une mise en commun de ses lectures et de son ressenti, ne s’est pas véritablement implantée en France. Elle est apparue il y a une quinzaine d’années, avec les réseaux sociaux et depuis que certains clubs de lecture américains sont médiatisés. Des clubs similaires ont commencé à se créer : sur internet, les gens parlent directement et librement de ce qu’ils ont lu. Le public de ces groupes est, selon moi, relativement jeune et connecté. Ces rencontres devraient être amenées à se développer.

=> Lisez notre article sur l’essor des « book clubs » francophones et francophiles aux Etats-Unis dans le numéro de janvier 2018 de France-Amérique.