Contre la barbarie, que faire ?

Oussama Ben Laden et son organisation Al-Qaïda, avec le recul du temps, apparaissent comme relativement prévisibles, effroyables, mais obéissant à une certaine logique. Le but de Ben Laden était de détrôner la famille régnante d’Arabie Saoudite et, porté dans son imagination par le peuple arabe, de prendre le pouvoir à sa place. Cette révolution aurait immédiatement fait de Ben Laden le protecteur des lieux saints de l’Islam et, par conséquent, le nouveau calife du monde musulman. En s’attaquant aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, un acte de guerre, Ben Laden espérait affaiblir le principal soutien du régime saoudien, voire l’inciter à abandonner la dynastie Saoud. Dans cette guerre asymétrique, Ben Laden eut recours à deux armes pas tellement nouvelles qui avaient déjà été expérimentées pendant la Deuxième guerre mondiale : massacrer des civils innocents pour démoraliser l’adversaire et recourir à des kamikazes. Aussi horribles que fussent ces armes et mégalomane sa stratégie, il était possible de comprendre Ben Laden. Sans doute cette interprétation est-elle plus aisée aujourd’hui qu’elle ne le fut à l’époque : la réponse occidentale en Afghanistan puis en Irak n’était sans doute pas appropriée, là encore avec le recul du temps. Une destruction ciblée d’Al-Qaïda aurait, peut-être, été plus opportune que la tentative toujours non couronnée de succès d’imposer l’état de droit et la démocratie dans les deux pays envahis.

Ce qui conduit à s’interroger sur les attentats à répétition, par des djihadistes autoproclamés, à Paris le 13 novembre, à San Bernardino en Californie le 2 décembre, à Ankara en Turquie et à Grand Bassam en Côte d’Ivoire le 13 mars. A San Bernardino, le couple « djihadiste » s’est réclamé de Daesh, avec qui il n’avait, semble-t-il, aucun contact. Ces attentats ne recopient pas plus ceux du 11 septembre que ceux perpétrés contre la gare d’Atocha à Madrid le 11 mars 2004. S’ils sont tout aussi barbares, on ne voit pas trop dans quelle grande stratégie ils s’inscrivent. Ben Laden était un peu rationnel, les nouveaux barbares ne le sont pas du tout. Ou bien leurs raisons nous sont totalement étrangères. Cette nouvelle génération de djihadistes sont des nihilistes purs, même s’ils ne le savent pas : qui peut croire que leurs massacres conduiront à la création d’un nouveau califat au Nigéria, au Mali, en Libye ou en Syrie ? Qui peut croire que ce nihilisme de la terreur ralliera un jour la masse immense des musulmans, arabes et non arabes, qui pratiquent un Islam modéré et non violent ?

Voici l’Occident, mais également le monde arabe et l’Afrique, confrontés à une nouvelle barbarie, plus irrationnelle et plus imprévisible que celle de Ben Laden. La stratégie en réponse n’a pas encore été trouvée, comme en témoignent les hésitations de l’Occident qui s’engage un peu, mais pas trop, sur le terrain militaire au Proche-Orient et en Afrique. Les dirigeants du monde musulman n’ont pas non plus une vision claire de leurs intérêts. Ils tendent à faire passer leurs ambitions nationales et leurs allégeances tribales, avant la défense de l’Islam en soi, contre le nihilisme djihadiste. Il ne nous appartient pas de parler à la place des musulmans, mais on regrettera tout de même que les voix de la modération en Islam se fassent assez peu entendre.

Pour l’Occident, on n’imagine pour l’heure rien d’autre que des réponses sécuritaires et bien ciblées. S’en prendre à l’Islam en général, comme le fait en ce moment le démagogue Donald Trump aux Etats-Unis, ne peut qu’accroître le nombre des djihadistes et, pire encore, leur conférer une sorte de légitimité comme défenseurs de leur foi. Ce discours à la Trump ne facilite donc pas la tâche aux musulmans modérés et il nuit à notre sécurité parce qu’il accroît le foyer de recrutement potentiel parmi les populations musulmanes qui vivent en Occident, y compris aux Etats-Unis. Il ne reste probablement, pour les années qui viennent, qu’à accroître nos dispositifs de sécurité, ce qui, nécessairement, restreindra nos libertés. Le refus d’Apple de permettre au FBI d’accéder aux données d’un téléphone crypté ayant appartenu aux terroristes de San Bernardino est splendide en principe, mais en réalité irresponsable et suicidaire. Les dirigeants d’Apple sont bien aimables de vouloir protéger notre vie privée—et leurs intérêts marchands—mais sans sécurité policière, nous n’aurons plus de vie privée du tout. Nous sommes, nolens volens, engagés dans un conflit d’un nouveau type où l’invocation des vieux principes est une voie certaine vers la défaite.

 

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