Exposition

La mode et la foi : James Tissot à San Francisco

Une exposition inédite au musée Legion of Honor de San Francisco invite le public à revisiter – ou à découvrir – l’œuvre multiforme de James Tissot.
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James Tissot, Octobre, 1877. © The Montreal Museum of Fine Arts. Photo MMFA, Brian Merrett

Le nom de l’artiste du XIXe siècle James Tissot est emblématique d’une vie et d’une carrière menées des deux côtés de la Manche. Avec un pied dans chaque culture, un style qui se refuse à la catégorisation et un changement radical de sujet en fin de carrière, Tissot est difficile à cerner. Cela explique peut-être pourquoi ce peintre, célèbre de son vivant, n’est plus très connu du public d’aujourd’hui. Le Legion of Honor de San Francisco, qui inaugure ce mois-ci l’exposition James Tissot: Fashion & Faith, considère que son œuvre mérite d’être reconsidérée. Première exposition internationale d’importance depuis plus de deux décennies, elle rassemble une soixantaine de tableaux ainsi que des estampes, dessins, photographies et émaux cloisonnés de l’artiste.

L’exposition s’appuie sur de récentes découvertes à l’occasion d’analyses réalisées sur quelques toiles, grâce à des techniques de haute technologie, et sur une mine de documents, photographies et effets personnels conservés dans le château où Tissot a passé ses dernières années. « Je pense que les connaisseurs et spécialistes de la peinture du XIXe siècle y trouveront de nouvelles pistes de réflexion et que pour le grand public Tissot sera une révélation », explique Melissa Buron, co-commissaire de l’exposition et directrice du département des arts aux musées des Beaux-arts de San Francisco.

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James Tissot, Portrait de la marquise de Miramon, née Thérèse Feuillant, 1866.

Jacques-Joseph Tissot est né à Nantes en 1836 de parents investis dans les métiers du textile et de la chapellerie féminine, ce qui fut probablement à l’origine de l’une des caractéristiques de son œuvre : un vif intérêt pour la mode et une virtuosité dans le rendu des textures, imprimés et volants. Son père désapprouve ses aspirations créatives, mais avec l’aide de sa mère, il s’installe à Paris en 1855 et se forme à la tradition académique auprès de disciples d’Ingres.

Tissot fait ses débuts au Salon de 1859 ; la même année, par anglophilie, il adopte le prénom James. Au cours des années 1860, il passe de scènes historicistes à la représentation de la vie moderne dans la société mondaine, ce qui fait aujourd’hui sa renommée. Grâce à ses envois réguliers au Salon et à sa relation privilégiée avec un grand marchand d’art parisien, il conquiert rapidement les beaux quartiers.

Mais le déclenchement de la guerre franco-prussienne en 1870 va notablement changer la donne. Tissot reste à Paris et participe au conflit en tant que membre de la Garde nationale, tout en croquant les horreurs dont il est témoin. Après la guerre, il s’installe à Londres, fuyant peut-être les soupçons de son implication dans l’éphémère Commune. Introduit dans la bonne société londonienne par le rédacteur en chef de Vanity Fair, magazine dans lequel il publie des caricatures politiques, il connaît à Londres un succès plus grand encore que celui dont il jouissait à Paris.

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James Tissot, Le bal à bord, ca. 1874. © Tate

De ses représentations méticuleuses de bals à bord de navires ou d’élégants pique-niques se dégagent une fausse frivolité et une perspicacité sur la nature humaine qui n’échappent pas à cet observateur attentif. Un critique faisait remarquer qu’il était « considéré ici comme le Zola de la peinture ». Pendant son séjour à Londres, Tissot décline l’invitation de Degas à participer à la première exposition d’un groupe désormais connu sous le nom d’Impressionnistes. Un fait majeur de cette période fut sa longue relation avec Kathleen Newton, une jeune Irlandaise divorcée, sa muse et le modèle de plusieurs de ses tableaux.

Lorsque Kathleen Newton est emportée par la tuberculose à 28 ans, Tissot, brisé par ce deuil, rentre presque immédiatement à Paris où il cherchera plus tard, comme cela était courant à l’époque, à communiquer avec elle par l’intermédiaire d’un médium. L’un des temps forts de l’exposition est la présentation côte à côte d’une gravure en manière noire, intitulée L’Apparition, et du tableau récemment redécouvert qui l’a inspirée ; ils représentent le fantôme de Kathleen Newton et un guide spirituel, tels que Tissot a déclaré les avoir vus pendant une séance.

James Tissot, Ces dames des chars, 1883-1885.

Afin de renouer avec le marché de l’art local, l’artiste entreprend une série de quinze grands tableaux intitulée La Femme à Paris, dépeignant les diverses activités des femmes de l’époque. En 1888, alors qu’il étudie une toile religieuse dans l’église Saint-Sulpice, il a une vision et consacre dès lors les deux dernières décennies de sa vie à la représentation de scènes bibliques. Il se rend à trois reprises en Terre Sainte, voyages dont il tire 350 aquarelles ayant pour thème la vie du Christ, mais il meurt sans avoir achevé la série consacrée à l’Ancien Testament.

L’art religieux est aujourd’hui passé de mode, ce qui explique sans doute le manque de reconnaissance dont Tissot est victime de nos jours, mais La Vie du Christ connut en son temps un immense succès, rapportant à l’artiste l’équivalent de ses trente précédentes années de travail. « Les aquarelles furent exposées à travers tous les Etats-Unis et eurent un tel impact sur le public que des articles de journaux de l’époque relatent que des visiteurs pleuraient en arpentant les salles », raconte Melissa Buron. « La religion connut un retour en grâce et le cinéma n’était pas encore très répandu… C’était presque comme aller voir Avatar [film de science-fiction en 3D de James Cameron], mais à la fin du XIXe siècle. » De fait, ces images séquentielles ont influencé des films bibliques, comme Intolérance de D.W. Griffith ou le Ben-Hur de William Wyler, et au moins un film culte mais d’un tout autre genre : l’Arche d’Alliance de Tissot est le modèle de celle d’Indiana Jones.


James Tissot: Fashion and Faith
Du 12 octobre 2019 au 20 février 2020

Legion of Honor
San Francisco

Du 23 mars au 19 juillet 2020
Musée d’Orsay
Paris


Article publié dans le numéro d’octobre 2019 de France-AmériqueS’abonner au magazine.