The Wordsmith

Eco par-ci, éco par-là

La protection de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique sont devenues, à juste titre, des obsessions. Tout nous ramène à l’écologie. Au point que, d’écocide à écoactivisme en passant par écotourisme et écoféminisme, on ne compte plus les mots formés à partir du préfixe « éco ».
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© Sylvie Serprix

N’en déplaise aux climato-sceptiques, les effets du réchauffement de notre planète sont de plus en plus manifestes. Chaque année apporte son lot de catastrophes naturelles dont l’ampleur est à l’évidence imputable aux activités humaines. Pour désigner les inquiétudes que ces phénomènes suscitent, on parle aujourd’hui d’écoanxiété.

Estimant qu’il n’y a pas de meilleur remède à l’anxiété que l’action, les écoactivistes se mettent régulièrement en vedette. L’une de leurs démarches favorites étant le barbouillage – symbolique, fort heureusement – d’œuvres d’art remarquables. Dans ce petit jeu destiné à attirer l’attention des médias, les militants anglais se montrent particulièrement imaginatifs. A la fin de 2022, des tableaux de Constable et de Van Gogh ont ainsi fait les frais de leurs « performances ».

Il n’échappe à personne que les mots formés à partir du préfixe « éco », du grec oikos, « maison » ou « habitat », sur lequel a été construit aussi économie (« administration du foyer », au départ, en grec), fleurissent dans le langage quotidien. Nombreuses sont les publicités ou les messages gouvernementaux vantant l’écocitoyenneté, les écoproduits et les écogestes tels que la baisse du chauffage dans les logements et l’extinction de l’éclairage public la nuit. On encourage aussi l’écoconduite, économe en carburant. Par quel miracle ? En faisant tourner le moteur à bas régime, en maintenant une vitesse stable, c’est-à-dire en évitant les accélérations et les freinages intempestifs. Sans oublier de couper le contact à l’arrêt.

Un coup d’œil dans Le Petit Robert est instructif. Parmi les entrées ou les mots cités, on relève écomatériau, écoparticipation, écocertification, écopâturage, écoquartier, écopastille, écotaxe et écotoxique. On peut y ajouter éco-industrie, éco-urbanisme, écoconstruction et écotourisme, appelé aussi tourisme vert, centré sur la découverte de la nature et des agrosystèmes. Son pendant en matière d’(éco)hébergement connaît de nombreuses variantes : écohôtel, écoauberge, écogîte, écolodge, écocamping, écovillage. Les uns et les autres étant certifiés par des écolabels.

Eco-house, eco-habitat, eco-farm… Les anglophones ont des mots-valises équivalents. Comme dans tant d’autres secteurs de la vie économique et sociale, l’irruption des anglicismes dans le français est inévitable. Ainsi parle-t-on souvent d’un produit eco-friendly alors même que les adjectifs écocompatible ou écoresponsable conviendraient tout aussi bien.

Autre terme de plus en plus fréquemment lu ou entendu, celui d’écocide, bâti sur le modèle de génocide et d’ethnocide. L’idée de charger la Cour pénale internationale de juger des atteintes graves et durables à l’environnement semble même faire son chemin. Si l’on creuse un peu, cette « écomania » vient de loin. Il y a belle lurette, depuis le milieu du XXe siècle, que l’on parle d’écosystème. Emprunté au secteur des sciences de la vie, où il désigne une unité de base formée par le milieu (le désert, la mangrove, une forêt, un lac…), ce terme a gagné d’autres domaines, notamment celui des informaticiens qui l’utilisent pour décrire un ensemble d’appareils et de logiciels complémentaires.

Dans les années 1970, on parlait aussi déjà d’écodéveloppement. Forgé par l’économiste Ignacy Sachs, né en Pologne en 1927, ce concept consiste à chercher les voies d’une « croissance économique à la fois respectueuse de l’environnement et socialement inclusive ». Pour Sachs, précurseur des combats écologiques actuels, le développement durable et l’équité sociale vont nécessairement de pair.

Attention, cependant, à ne pas voir de l’environnement partout. Les licences d’éco-gestion délivrées par les universités françaises n’ont pas grand chose à voir avec l’écologie, mais beaucoup avec l’économie, offrant des débouchés vers la banque, la finance, le marketing ou encore l’informatique.

Utilisé aussi bien comme adjectif que substantif, le mot « écolo », familier voire péjoratif il y a peu encore, s’est banalisé. Encore les écologistes stricto sensu ne sont-ils plus les seuls dans le champ politique. Les écosocialistes tentent de leur damer le pion. Un autre courant, l’écoféminisme, ne cesse de marquer des points à la gauche de la gauche.

Ce n’est pas tout. L’écofascisme, même si les tenants de ce courant de pensée récusent cette appellation, se fait entendre de l’autre côté de l’échiquier politique. Prônant l’avènement d’un régime totalitaire seul susceptible, selon elle, de protéger l’environnement, une partie de l’extrême droite envisage rien de moins que l’abandon des technologies modernes ainsi qu’une réduction drastique de la population humaine – telle que l’imaginait déjà l’économiste anglais Thomas Malthus au début du XIXe siècle. Un programme qui fait froid dans le dos.

Le vert, décidément, en voit de toutes les couleurs !


Article publié dans le numéro d’avril 2023 de France-Amérique. S’abonner au magazine.