[Mise à jour : L’exposition Hopper in Paris aura lieu à la Phillips Collection de Washington D.C. du 8 octobre 2020 au 10 janvier 2021.]
Le peintre qui arrive à Paris est innocent et sévère. Il vient d’achever ses études à la New York School of Art, admire Courbet, Manet et Daumier et dédaigne les artistes bohémiens. Par le biais de ses parents, des baptistes de la vallée de l’Hudson, il a trouvé une chambre chez une veuve au 48 rue de Lille, dans le 7e arrondissement.
Hopper est au paradis. Il visite le Salon d’automne moins d’une semaine après son arrivée à Paris. Il trouve les compositions de Cézanne « très fines », mais s’éprend des œuvres de Félix Vallotton et d’Albert Marquet, deux peintres qui auront une grande influence sur son travail. A la même période, un ami américain lui fait découvrir les toiles de Sisley, Renoir et Pissarro.
A la manière des peintres impressionnistes, Hopper travaille en plein air. Il déambule le long des quais, se perd dans le Quartier latin, dessine les dames en crinoline, les hommes en chapeau haut-de-forme, les prostituées et leurs souteneurs dans les cafés de Belleville, les soldats au garde-à-vous, les agents de police drapés dans leur pèlerine, les ouvriers qui jouent aux cartes, les bateliers sur la Seine.
La géométrie de Paris
Hopper « passe le [premier] mois à travailler avec ses yeux », écrit l’historienne de l’art Gail Levin dans sa biographie du peintre. Dans une lettre à sa mère, il décrit la géométrie de Paris, les toits d’ardoises et de zinc, les cheminées, cette couleur gris-bleu qui semble envelopper la ville les jours de pluie. « Ce que voyait Hopper était souvent plus important pour lui que les gens qu’il rencontrait ou ce qu’il faisait. »
Le peintre réserve le fusain, l’encre et l’aquarelle aux études et aux scènes de rue : c’est à l’huile qu’il affine son style. Il peint d’abord des sujets familiers – la cage d’escalier chez sa logeuse, la cour de l’immeuble – avant de s’essayer, à partir du printemps 1907, aux monuments parisiens : la cathédrale Notre-Dame, le palais du Louvre, le pont des Arts, les bateaux-lavoirs amarrés au pied du pont Royal.
Le Paris d’Hopper est abandonné, dépourvu d’identité et fragmenté, inspiré par le cubisme. Les quelques personnages se confondent dans la pénombre, dans l’architecture d’un pont métallique. Le peintre américain adopte les paysages désertiques et le cadrage asymétrique du photographe français Eugène Atget, dont il découvre le travail en France.
Le Parc de Saint-Cloud (1907) et L’Ile Saint-Louis (1909) « annoncent ses toiles les plus matures et les plus connues », explique Elsa Smithgall, conservatrice en chef de la Phillips Collection. « On retrouve le même contraste dramatique entre la lumière et l’obscurité, la même fascination pour les formes géométriques et les thèmes symbolistes. »
Ses peintures vilipendées par la critique américaine
De 1906 à 1910, le peintre effectuera trois séjours en France. Ses œuvres parisiennes – une quarantaine de peintures à l’huile, une trentaine d’aquarelles et un grand nombre de croquis – seront pourtant dénigrées par les critiques américains. L’heure est à l’art national et Hopper est condamné pour ses influences étrangères. C’est dans ce contexte qu’il affirme, « Paris n’a eu aucune influence immédiate sur moi ».
En public, le peintre rejette ses années parisiennes et tourne son regard vers les totems de l’américanité : les paysages de la Nouvelle-Angleterre, les grandes villes, les stations-service. Mais Hopper, fier de ses racines huguenotes, restera francophile toute sa vie. Il séduira sa femme en lui récitant un poème de Verlaine et rendra hommage dans sa dernière toile, Two Comedians (1966), au célèbre film Les Enfants du paradis de Marcel Carné.
« Je ne crois pas qu’il existe sur terre une autre ville aussi belle que Paris », écrit-il à sa mère en 1906, « ni un peuple qui apprécie le beau autant que les Français ».
Article publié dans le numéro de mai 2020 de France-Amérique. S’abonner au magazine.