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Dans une université du Kentucky, l’inquiétude des professeurs d’un département de français menacé

En août dernier, Eastern Kentucky University (EKU) a menacé de fermer son département de français. Depuis, Randi L. Polk, l’une des deux professeurs de français à plein temps à l'université, essaye d’attirer plus d’étudiants et de sauver son programme.
Actualités/News © EKU

France-Amérique : Comment la réduction de 3 millions de dollars de financement public de l’université a-t-elle affecté le département de français ?

Randi L. Polk : En janvier dernier, le gouverneur [républicain] du Kentucky, Matthew Bevin, a réduit de 18 millions de dollars les subventions de l’Etat attribuées aux universités – une perte de 3 millions de dollars pour Eastern Kentucky University. Il a expressément recommandé de privilégier l’enseignement des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques, en défaveur sciences humaines. « Il y aura plus de mesures incitatives en faveur d’études d’ingénierie électrique que de littérature française », a-t-il déclaré. « Tous ceux qui souhaitent étudier la littérature française peuvent le faire – mais ils ne seront pas subventionnés par le contribuable. » C’est un désastre pour toutes les universités publiques du Kentucky.

Est-ce à ce moment-là que la suspension du département de français a été recommandée ?

Le Comité de contrôle budgétaire de l’université a recommandé la suppression du français et de vingt autres matières – dont le théâtre, l’horticulture, la géographie et le journalisme. En août dernier, toutes les disciplines diplômant moins de dix étudiants par an ont été jugées « problématiques » pour des raisons budgétaires. [Pour l’année universitaire 2015-2016 à EKU, six étudiants ont obtenu une licence de littérature française et un étudiant a obtenu une licence d’enseignement du français.]

Que s’est-il passé ensuite ?

En septembre, j’ai eu droit à quinze minutes devant le Conseil universitaire et le Conseil des affaires académiques pour plaider la cause du département de français. Le second a voté pour nous placer en période probatoire. Le Conseil universitaire n’a pas encore voté. Le président de l’université et le Conseil d’administration recueilleront ensuite toutes les recommandations et prendront la décision finale – probablement en décembre.

Quelles sont les conséquences possibles pour le département de français ?

En cas de fermeture du département, l’université n’accepterait plus aucun nouvel étudiant dans ses cours de français, mais nous serions toujours tenus de terminer l’enseignement des étudiants déjà inscrits dans cette discipline. Si un étudiant choisit le français comme matière principale avant la fin du semestre, nous aurons l’obligation de lui dispenser les cours dont il a besoin jusqu’à l’obtention de son diplôme. L’université pourrait aussi nous placer en période probatoire : nous imposer une période d’essai avant de revoir le programme l’année prochaine. Nous pourrions ainsi bénéficier de deux ans pour nous regrouper, attirer de nouveaux étudiants et obtenir plus de soutien.

Que pouvez-vous faire pour attirer plus d’étudiants au sein du département ?

Nous ne nous contentons pas d’enseigner la littérature française à nos étudiants, nous leur démontrons l’utilité de la langue française. Nous nous concentrons sur ses applications pratiques et professionnelles. Le Canada est le premier partenaire commercial du Kentucky. L’entreprise française Euro Sticks compte s’implanter [et créer 90 emplois], à Corbin, tout près de nous. Les occasions de rencontrer des francophones sont nombreuses dans le Kentucky – c’est l’un des arguments de défense de notre programme. Mais dans une zone rurale comme la nôtre, où le contact avec la diversité est limité, les gens ne sont pas bien informés sur la culture et la langue qui pourraient les aider dans leur future carrière. Certains de mes étudiants n’ont jamais voyagé et n’ont pas du tout conscience de la francophonie en Afrique occidentale ou dans le reste du monde. Nous essayons d’informer les étudiants sur l’importance d’une langue internationale telle que le français.

Quelle a été la réaction des étudiants ?

Suite à cette publicité négative, au moins dix étudiants sont venus me voir ces deux dernières semaines pour choisir le français comme matière principale ou secondaire. Ils craignent de ne pouvoir le faire plus tard. A présent, nous attendons tous avec inquiétude la décision finale de l’université.