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Des ailes pour la liberté : les pilotes américains sauvés par les Normands

De juin à août 1944, les chasseurs et bombardiers américains soutinrent les Alliés lors de la bataille de Normandie. Pendant la guerre, près de 2 700 aviateurs furent forcés d’atterrir en urgence. Secourus par les paysans locaux, ils avaient pour ordre de se fondre parmi les civils en attendant la Libération. L’un d’entre eux, le major McLeod, s’engagea aux côtés de la Résistance.
L’équipage d’un bombardier américain après une mission au-dessus de la Normandie, le 7 juin 1944. © Fred Ramage/Keystone/Getty Images

Le récit Des ailes pour la liberté retrace le séjour en France de ce natif du Massachusetts, engagé auprès de l’armée anglaise, puis américaine, son avion fut abattu au-dessus du Calvados en juin 1944. Entretien avec son auteur passionné d’histoire, le Français Thierry Marchand.


France-Amérique : Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’histoire de ces aviateurs américains ?

Thierry Marchand : Mon grand-oncle faisait partie d’un réseau qui cachait les pilotes forcés de se poser dans le Calvados. Repérés par les enfants qui guettaient les parachutes, et recueillis par les civils, ces jeunes aviateurs sont restés cachés dans les fermes jusqu’à la fin de la guerre. Certains furent actifs aux côté des résistants, bien que cela fut interdit par l’armée américaine : s’ils étaient pris, ils auraient été traités comme des espions et non comme des prisonniers de guerre.

Comment ces pilotes étaient-ils formés à survivre en France ?

Les aviateurs étaient souvent des étudiants ayant le goût de l’aventure et des engins à moteurs. Ils ne parlaient pas français et n’étaient pas entraînés à sauter en parachute. Avant de partir à la guerre, ils assistaient à une conférence et recevaient un guide, What Evaders and Escapers Should Do. Au cours de leurs missions, ils portaient sur eux un kit de survie : une canne à pêche, des tablettes pour purifier l’eau, des chewing-gums… S’ils ne tombaient pas directement aux mains des ennemis, les pilotes avaient pour ordre d’incendier l’appareil et d’enterrer leur parachute. Ils devaient ensuite chercher l’aide d’un « habitant amical », s’habiller en civil et se cacher jusqu’à ce qu’on les libère ou qu’ils ne s’échappent. Les civils qui les recueillaient prenaient le risque d’être fusillés.

Le héros de votre roman est un pilote originaire du Massachusetts, le major McLeod. Comment avez-vous découvert son histoire ?

Après la Libération, les pilotes américains et canadiens ont été envoyés à Londres pour être interrogés. Leurs témoignages, consignés sous le nom de rapports E&E (Escape & Evasion), sont désormais accessibles en ligne. Le dossier du major McLeod, qui faisait une dizaine de pages, se démarquait du lot. Plus âgé et plus gradé que ses compatriotes, il a passé soixante-sept jours jours dans la Résistance.

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Donald W. McLeod, à gauche, aux Etats-Unis en 1943. Crédit : famille Uhl.

Qu’avez-vous appris à son sujet ?

Né à Blackstone, dans le Massachusetts, Donald W. McLeod s’est engagé comme pilote dans la marine américaine. Mais ce fils de cheminot, descendant d’une modeste famille de pêcheurs écossais, mesurait plus d’un mètre quatre-vingt-dix pour cent kilos : il ne fut pas autorisé à voler aux Etats-Unis. Lorsque la guerre éclata en Europe, il passa par un réseau canadien pour rejoindre l’aviation anglaise, moins réglementée. Avec 243 autres volontaires américains, il s’engagea dans l’Escadrille des Aigles. Lorsque les Etats-Unis entrèrent en guerre, après l’attaque de Pearl Harbor, il fut transféré dans l’armée de l’air américaine. Au moment du Débarquement, il pilotait un chasseur P-47 dans le ciel normand. Son appareil fut touché le 10 juin 1944. Forcé d’atterrir à 330 km/h dans le bocage de Lisieux, il fut secouru par des civils et rejoignit un réseau de Résistance chapeauté par un agent double nommé Raoul. Pendant deux mois, il aida à miner des routes et à dynamiter des ponts. McLeod décèdera quelques mois après son retour aux Etats-Unis, des suites de ses blessures de guerre. Fils unique et sans enfant, sa lignée s’éteignit avec lui. Il est enterré dans sa ville d’origine, à quelques mètres de sa maison d’enfance.

Comment s’est passée la cohabitation entre les pilotes américains et les Français ?

Les habitants du Pays d’Auge qui ont recueilli les pilotes n’avaient pas de convictions politiques, c’étaient plutôt de “fortes personnalités”, des “bonnes âmes”. Mais les Américains étaient confrontés à un choc des cultures. Eux qui avaient grandi durant l’ère Roosevelt, alors que les Etats-Unis étaient en plein développement, se retrouvaient dans la campagne normande, en période de restriction. Si aucun d’entre eux n’est resté en France, certains ont gardé contact avec les familles qui les ont sauvés. Aujourd’hui, ce sont leurs petits-enfants qui se rendent en pèlerinage en Normandie.