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Le foie gras et ses ennemis

Le foie gras en France accompagne les dîners de fête, mais il est interdit depuis le mois de janvier en Californie et sera interdit dans la ville de New York en 2022. Des restaurateurs influents, des chaînes de supermarchés, des stars d’Hollywood, des associations de défense des animaux et même un pape ont mis le foie gras à l’index. Mais les producteurs français font de la résistance.
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© D’Artagnan

La panique gagne les producteurs en Amérique du Nord : l’Etat de Californie a interdit la production et la vente de foie gras et la ville de New York vient de passer une loi en interdisant la vente, qui entrera en application dans trois ans. Selon Carlina Rivera, la conseillère municipale à l’origine de cette loi, le foie gras est un produit élitiste et inutile, résultant d’un procédé cruel : « Le foie gras ne fait pas partie du régime alimentaire des New-Yorkais lambda. Moins de 1 % des restaurants de New York en servent. »

Le foie gras est victime d’une chasse aux sorcières, estime la Française Ariane Daguin, qui distribue sous la marque D’Artagnan du foie gras de canard produit dans l’Etat de New York et dans le New Jersey. « En dehors de quelques chefs et de quelques gastronomes, la plupart des Américains n’en ont jamais mangé. » Le marché américain est modeste : moins de 300 tonnes par an. Insignifiant comparé aux 16 000 tonnes consommées annuellement en France, où 90 % de la population déclare en manger au moins une fois par an.

La pratique du gavage choque certains Américains. Au temps des pharaons, les oiseaux du Nil se gavaient naturellement pour préparer leur migration, mais les volailles – des canards, mais aussi des oies en France – sont aujourd’hui gavées à l’aide d’un entonnoir. Elles ingurgitent un mélange d’eau et de maïs deux à trois fois par jours pendant deux à trois semaines. Le foie ainsi engraissé peut atteindre 650 grammes : un processus indolore selon les éleveurs, mais cruel selon les défenseurs des droits des animaux. L’actrice américaine Loretta Swit (MASH) a même comparé le gavage des canards au traitement des prisonniers d’Abou Ghraib !

Six millions de militants anti-foie gras

Le mouvement de défense des canards s’est amplifié grâce à YouTube, explique Dan Mathews, vice-président de l’association américaine PETA (People for the Ethical Treatment of Animals), qui milite contre le foie gras depuis les années 1980. « Ceux qui ont regardé des vidéos [de gavage] ont immédiatement changé d’avis […]. Le moindre idiot peut se rendre compte que c’est de la cruauté et que ce n’est pas naturel. »

Ce message a été relayé par les militants de PETA à travers le monde et la cause a reçu le soutien de Roger Moore, Kate Winslet, Pamela Anderson et le pape Benoît XVI. Les supermarchés américains Target et Giant Eagle ont cessé de vendre du foie gras, Whole Foods l’a ajouté à sa liste des produits « inacceptables » (au même titre que les colorants artificiels et les boîtes de conserve soudées au plomb). En même temps, l’augmentation des droits de douane et de nouvelles contraintes sanitaires ont réduit le marché américain : 800 tonnes de foie gras français exportées aux Etats-Unis en 1999, rien aujourd’hui. Une poignée de producteurs se partagent le marché nord-américain : deux dans l’Etat de New York, un dans le Minnesota et quatre au Québec.

Dernière victoire en date pour les défenseurs du bien-être animal : le 7 janvier dernier, tout produit résultant du gavage d’un « oiseau » est devenu illégal en Californie. L’appel des producteurs et des restaurateurs n’a pas été entendu par la Cour Suprême fédérale et la loi votée en 2004 est entrée en application. Les contrevenants encourent désormais une amende de 1 000 dollars. En France, où le foie gras fait partie depuis 2006 du « patrimoine gastronomique et culturel », l’union des producteurs dénonce le « lobbying de quelques activistes » et la « désinformation » orchestrée au nom du végétarisme. En Amérique du Nord, les éleveurs de canards s’estiment persécutés : ils reçoivent des courriers d’intimidation, des « terroristes végétariens » s’infiltrent dans leurs fermes.

Le canard, une cible facile

« Le foie gras est une cible facile », témoigne Benoît Cuchet, directeur de la maison Rougié, qui produit du foie gras dans la région de Montréal et exporte 45 % de sa production aux Etats-Unis. « Notre industrie est petite et n’a pas autant de ressources et de soutien que les éleveurs de poulets ou les éleveurs de porcs. » Un point de vue partagé par Mark Caro, auteur du livre The Foie Gras Wars. Suite à la décision d’un chef de Chicago d’arrêter de servir du foie gras, ce journaliste américain a visité des élevages dans le Sud-Ouest de la France, en Alsace et aux Etats- Unis. « J’ai trouvé le traitement des canards plus humain et plus transparent dans ces fermes que dans n’importe quel élevage industriel de poulets. »

La production de foie gras est-elle cruelle ? Nous ne nous prononcerons pas. Mais son impact est bien moindre que celui du chicken nugget : environ 500 000 canards sont tués chaque année aux Etats-Unis pour le fois gras contre neuf milliards de poulets. Soit un canard pour 18 000 poulets. « Il est plus facile d’attaquer le foie gras, qui n’est pas aussi populaire aux Etats-Unis qu’en France », admet le vice-président de PETA.

Autre handicap du foie gras aux Etats-Unis : son image. Il est pour beaucoup d’Américains ce mets emblématique de la gastronomie française, exotique, élitiste et cher : compter 120 dollars pour une terrine de foie gras d’une livre et demie. A Chicago, rappelle Mark Caro, l’interdiction du foie gras de 2006 à 2008 s’était inscrite dans le même mouvement francophobe que les « freedom fries ».

Une guerre incertaine

Le foie gras est désormais menacé à New York : l’interdiction entrera en application le 30 octobre 2022 et les contrevenants risqueront une amende allant de 500 à 2 000 dollars. Par le passé, Philadelphie, Hawaï, le Maine, le Maryland, le Massachusetts, le New Jersey, l’Oregon et l’Etat de Washington ont aussi essayé d’interdire le foie gras mais aucune proposition de loi n’a abouti. Les associations de défense des animaux n’ont pas eu le soutien qu’elles ont eu en Californie et se sont heurtées à la mobilisation des producteurs, des restaurateurs et des consommateurs. « Nous sommes suffisamment organisés pour nous défendre », affirme le directeur de Rougié. L’avocat des producteurs du Québec et de l’Etat de New York a récemment demandé une injonction qui pourrait suspendre, au moins temporairement, l’application de la loi californienne.

Ariane Daguin ne baisse pas les bras. « Les conseillers municipaux de New York sont à la solde des activistes terroristes », explique-t-elle. « Ce qu’ils viennent de voter est anticonstitutionnel ; nous allons nous battre et renverser la loi. C’est une attaque envers un symbole de l’art de vivre à la française. »