Objet Culte

Objet culte : le ciré jaune Guy Cotten

Un petit bonhomme jaune qui écarte les bras: l’emblème du ciré Guy Cotten, le spécialiste de « l’abri du marin », a largement dépassé les frontières de la Bretagne pour devenir, en plus de 50 ans, le leader mondial du ciré professionnel. Le vêtement étanche jaune à patte velcro et glissière s’est notamment imposé sur le marché américain où il bénéficie de la notoriété du made in France.
© Guy Cotten

Le 15 février 1964, Guy Cotten ouvre, avec son épouse, un atelier familial de confection, malgré l’avis de son ancien patron, spécialisé dans les bleus de travail, qui lui souhaite « bien du courage ». Constatant que les traditionnelles vestes en coton huilé des pêcheurs manquent d’étanchéité, il décide de les remplacer par des cirés à base de PVC, un matériau principalement utilisé à l’époque pour la fabrication des stores et des bâches. Lui coupe les pièces, sa femme les assemble. Les coutures sont soudées, en chauffant le polyester qui fond et bouche les trous d’aiguilles. Voilà les pêcheurs bien au sec.

Mais par mauvais temps, nul n’est à l’abri d’un accident. Guy Cotten imagine donc un pardessus jaune vif, permettant d’être bien identifiable car c’est le coloris que l’œil repère en premier. Il assure lui-même la publicité de sa trouvaille, arpentant le quai des ports de Bretagne, de Normandie et de Navarre, pour convaincre les pêcheurs d’adopter ses nouveaux équipements de sécurité, car « tout homme passant par dessus bord doit pouvoir retrouver sa place sur le bateau ».

La sécurité par tous les temps

L’entrepreneur breton ira plus loin, créant des combinaisons à bretelles gonflables au déclenchement automatique. Pour défendre ses produits, il n’hésite pas à se jeter littéralement à l’eau. Ainsi, « il saute en combinaison dans le port de Dieppe devant un parterre d’officiels des autorités maritimes quelque peu interloqués. Une autre fois, il passe plusieurs heures en combinaison dans un bac à glace de l’hôpital de Concarneau pour convaincre les professionnels des qualités de ses équipements de sécurité. La légende veut qu’il en soit sorti sans un éternuement… », raconte l’écrivain Erwan Chartier-Le Floch.

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Guy Cotten, le père du ciré jaune. © Guy Cotten

Un jour que Guy Cotten passait l’après-midi en bateau avec son ami Yvon Hemery, le fondateur de l’école de voile de Rosbras dans le Finistère (Bretagne), le crachin – une petite pluie locale –, tombe dru. Son ami peste : « Pourquoi personne n’a encore imaginé une veste imperméabe qui s’enfilerait par la tête, comme une vareuse ? » Quelques jours plus tard, Guy Cotten revient au centre nautique de son ami et fait tester aux élèves le prototype de la veste Rosbras. En quelques années, le fameux ciré jaune devient « l’uniforme » des professionnels de la mer qu’ils soient pêcheurs, marins ou simples plaisanciers.

En 1974, le graphiste Alain Le Quernec dessine le petit bonhomme jaune qui va devenir le logo de l’entreprise. La démocratisation de la voile de plaisance fait du ciré jaune une pièce tendance malgré lui. Car l’entreprise bretonne ne s’est jamais souciée d’être à la mode. La marque ne fait pas appel à des stylistes. « Notre bureau d’études, c’est le bout du quai », aimait à répéter son fondateur. Qu’à cela ne tienne. Dans les années 1970, le ciré jaune sera réinterprété par Yves Saint Laurent, Pierre Cardin, Courrèges, et dans les années 1980 par Thierry Mugler et Jean-Paul Gaultier.

Un ciré tendance malgré lui

L’engouement pour le made in France à l’étranger joue en sa faveur. Les matières premières des cirés sont françaises, les coupes s’effectuent en Bretagne (notamment dans l’atelier de Trégunc, site historique de l’entreprise), certains montages ultimes principalement réalisés par soudures sont confiés à une usine de Madagascar. Le ciré jaune a ainsi trouvé son public aux Etats-Unis où la société, dirigée depuis une dizaine d’années par Nadine Bertholom-Cotten – la fille de Guy Cotten, décédé en 2013 – a ouvert deux filiales commerciales. En France comme aux Etats-Unis, la clientèle de la veste Rosbras est la même. Avec quelques spécificités, selon le destinataire : la toile sera plus épaisse pour les pêcheurs d’Alaska, plus souple pour les plaisanciers bretons.

Les cirés français ont la réputation d’être robustes ! Toutefois, si une couture ou un zip venait à lâcher, l’entreprise propose un service après-vente. Une démarche d’autant plus appréciée qu’elle se fait rare en dehors du secteur du luxe. Rançon du succès : le ciré jaune ne cesse d’être imité par les enseignes de prêt-à-porter. Les marques Armor Lux et Petit Bateau en ont même fait l’un de leurs best-sellers, à côté de la marinière et du bonnet de pêcheur à rayures. Cet engouement pour l’habillement breton donne lieu à des scènes curieuses : certains Parisiens ont l’air encore plus Bretons que les Bretons ! La marque au bonhomme jaune est aujourd’hui courtisée par des enseignes de haute couture.


Article publié dans le numéro de novembre 2018 de France-AmériqueS’abonner au magazine.