Exposition

Jean-Michel Othoniel, en verre et contre tout

A l’occasion de sa première exposition new-yorkaise depuis 2012, Jean-Michel Othoniel investit les trois étages de la galerie Perrotin à Manhattan. Trente-cinq œuvres monumentales – assemblages de perles et parterres de briques translucides – seront installées jusqu’au 15 avril.
Jean-Michel Othoniel, Grotta Azzurra, 2017. © Othoniel/ADAGP Paris, 2018

Un collier de perles géant, suspendu dans la cage d’escalier, conduit à la « salle des tornades ». C’est au troisième étage de la galerie, une ancienne fabrique de tissu du Lower East Side de Manhattan, que Jean-Michel Othoniel a suspendu ses « mobiles ». Les perles étincelantes, signature de l’artiste français depuis le milieu des années 1990, s’envolent dans un tourbillon de reflets. Une même émotion se dégageait de sa fontaine Les Belles Danses, installée en 2015 dans les jardins du château de Versailles.

Dans la « salle des tornades ». © Othoniel/ADAGP Paris, 2018

« Mes œuvres apparaissent comme jetées dans l’espace, mais elles sont d’une très grande complexité », indique Jean-Michel Othoniel. « J’ai longtemps travaillé avec des ingénieurs et des mathématiciens pour aboutir à cette impression de légèreté. » Les sphères métalliques, martelées par des dinandiers parisiens puis enfilées sur un squelette d’acier inoxydable et d’aluminium, flottent dans l’espace, suspendues sous la verrière.

La même quiétude règne au rez-de-chaussée, où un parterre de briques de verre couvre le sol de la galerie. Les briques de verre soufflé ont fait leur apparition dans le travail de l’artiste en 2012, à l’occasion d’une exposition au Brooklyn Museum. Elles sont désormais au centre de ses œuvres, autant sculptures que monuments. « Les briques sont mes nouvelles perles ! »

France-Amérique : Votre travail est exposé à New York, mais aussi dans un restaurant de Dallas et dans le Golden Gate Park à San Francisco. Quel rapport entretenez-vous avec les Etats-Unis ?

Jean-Michel Othoniel : J’ai vécu à New York et à Miami. J’ai aussi enseigné à l’université de Hawaï et à l’université Tulane à La Nouvelle-Orléans. J’aime les Etats-Unis et leur diversité. C’est un pays où l’art contemporain fait partie de la culture. Ce n’est pas le cas en Europe, où l’art contemporain est toujours en fracture avec l’art ancien. Les Etats-Unis se sont construits sur l’idée du nouveau. Le pays entretient un rapport beaucoup plus évident à l’art contemporain. Il y a plus de curiosité pour les artistes, plus de soutien, de structures et de moyens de financement.

En quoi ce pays influence-t-il votre travail ?

Si l’Asie a influencé ma spiritualité, les Etats-Unis ont éveillé ma conscience politique et sociale. Ma série Precious Stonewall, visible au rez-de-chaussée de la galerie, est une référence poétique aux émeutes de Stonewall [qui marquent la naissance du militantisme gay à New York en 1969]. Autels accrochés au mur ou posés au sol, ces assemblages de briques de verre jaune renvoient à la route de briques jaunes qui mène chez le Magicien d’Oz. Cette image fait partie de la culture de Stonewall – la mort de l’actrice Judy Garland [Dorothy dans le film de 1939 et figure de la communauté LGBTQ] aurait précipité les émeutes. Le chemin de briques jaunes conduit au pays fantastique mais aussi à la révolution.

Jean-Michel Othoniel, Precious Stonewall, 2014. © Othoniel/ADAGP Paris, 2018
jean-michel-othoniel-Precious-Stonewall-perrotin-new-york-nyc-2
Jean-Michel Othoniel, Precious Stonewall, 2014. © Othoniel/ADAGP Paris, 2018

Parallèlement au « chemin de briques jaunes », vous avez installé un parterre de briques bleues. Où ce chemin mène-t-il ?

C’est une pure invention ! Mais peut-être me mène-t-il sur les chemins de l’architecture ? Après la cire, le souffre et les perles, je m’intéresse à la brique. Precious Stonewall et Grotta Azurra sont un premier pas ; je compte étendre les briques de verre à une pièce entière, à un bâtiment. Je travaille depuis 2012 avec des artisans verriers à Firozabad, en Inde. Le mythe de la tour de Babel a inspiré mon travail : lorsque la tour s’est effondrée, qu’a-t-on fait de toutes ces briques ? Comment reconstruire l’utopie à partir de ces briques ? Et d’un point de vue pratique : comment intégrer la brique de verre, un élément aussi fragile, dans un travail en volume ?

Poursuivre le dialogue entre art et architecture. Est-ce aussi l’objectif du panel de discussion que vous organisez en parallèle de votre exposition ?

Je souhaite faire du lieu d’exposition un lieu d’échanges. Il y a une certaine solitude à être artiste aujourd’hui. Il y avait davantage de discussions lorsque j’ai commencé il y a trente ans. Le téléphone portable et les réseaux sociaux nous ont isolés. En organisant une table ronde, je cherche aussi à confronter mes idées à celles d’architectes, de critiques d’art, de chercheurs, d’étudiants. J’ai apprécié l’émulation qui régnait entre les artistes – écrivains, poètes, musiciens ou compositeurs – lors de ma résidence à la Villa Médicis.

Jean-Michel-Othoniel-grande-vague-big-wave-saint-etienne
Jean-Michel Othoniel, La Grande Vague (The Big Wave), 2017. © Marc Domage, courtesy of Galerie Perrotin

Votre installation La Grande Vague, dévoilée à Sète en 2017, s’inscrit-elle dans cette ambition architecturale ?

Elle en fait partie, oui. J’en installerai une version encore plus grande au musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Etienne cet été. La structure mesurera quinze mètres de long et six mètres de haut. Un monstre de 10 000 briques. J’ai autoproduit cette œuvre de vingt-cinq tonnes, mais elle est tellement lourde et complexe – elle requiert un mois d’assemblage – qu’elle ne peut pas entrer dans une logique de musée ou de galerie. Ce qui me pousse à m’interroger : quelle est la destination de l’art ?


Jean-Michel Othoniel: Dark Matters,
du 3 mars au 15 avril à la galerie Perrotin de New York.