Tradition

La galette des rois, une tradition française méconnue aux Etats-Unis

Ce gâteau doré fourré à la frangipane fait son apparition sur les étals des boulangeries-pâtisseries à la fin du mois de décembre. La galette des rois se déguste traditionnellement en famille le premier dimanche après le Jour de l’An, mais on la consomme pendant tout le mois de janvier !
© Ladurée

Avec la bûche de Noël et les œufs de Pâques, c’est le rendez-vous incontournable du calendrier gastronomique français. Quarante millions de galettes ont été consommées en France en 2018 ! Mais cette tradition s’est peu exportée à l’étranger. La boulangerie française Pitchoun, qui possède deux boutiques à Los Angeles, écoule trois cent galettes au mois de janvier. « C’est peu par rapport à une boulangerie de quartier en France qui peut en vendre 1 500 », concède la patronne, Fabienne Souliès. « Les Français viennent chercher leur galette tous les ans, mais beaucoup d’Américains ignorent cette tradition. » A New York et à Washington D.C., les employés de la chaîne de boulangeries haut de gamme Maison Kayser sont formés pour l’occasion : ils expliquent aux clients surpris le rituel de l’Epiphanie.

La galette traditionnelle (aussi surnommée « Parisienne ») est élaborée à partir d’une pâte feuilletée et fourrée à la frangipane, un mélange de crème d’amande et de crème pâtissière. Certaines boulangeries proposent des variantes : frangipane-chocolat, poire-chocolat, citron et marrons confits, noisettes, pommes ou mirabelles. Certaines vendent aussi des gâteaux des rois en forme de couronne, une spécialité du sud de la France à base de noisettes et de fruits confits. Au XVIIIe siècle, les Basques ont exporté ce dessert brioché vers le Nouveau Monde. Il accompagne aujourd’hui les célébrations du Carnaval en Louisiane et dans les autres Etats du golfe du Mexique. A La Nouvelle-Orléans, le gâteau des rois est traditionnellement saupoudré de sucre aux couleurs de Mardi Gras : l’or (qui symbolise le pouvoir), le vert (la foi) et le violet (la justice).

Du petit Jésus à Johnny Hallyday

Qu’elle soit briochée ou feuilletée, la galette des rois contient une fève. Déjà dans l’Antiquité romaine, on partageait un gâteau à l’image de l’astre solaire pour fêter le solstice d’hiver : l’esclave qui trouvait un haricot sec dans sa part devenait roi pour un jour. Pendant l’ère chrétienne, on associe la galette païenne à une fête religieuse, l’Epiphanie. Elle marque l’arrivée des rois mages à Bethléem. Le haricot est remplacé par une figurine de terre cuite ou de céramique représentant l’enfant Jésus.

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Jean-Baptiste Greuze, Le gâteau des rois, 1774. © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole. Photographie Frédéric Jaulmes.

La tradition païenne se poursuit : celui (ou celle) qui trouve la fève devient roi (ou reine), porte une couronne de papier et choisit sa reine (ou son roi) dans l’assistance. Mais la fève a perdu sa signification religieuse. En Louisiane, un bébé en plastique rose rappelle l’enfant Jésus. En France, la forme des fèves suit l’actualité. Pendant la Première Guerre mondiale, on se moque des Allemands en fabriquant des figurines en forme de casque à pointe en porcelaine de Limoges. En 2019, les fèves rendent hommage à l’équipe de France de football (vainqueur de la Coupe du monde en juillet 2018), à Johnny Hallyday (décédé au mois de décembre 2017) et à la famille Simpson.

Des fèves françaises aux Etats-Unis

La majorité des fèves sont aujourd’hui fabriquées à la chaîne en Chine ou au Vietnam. La maison Colas, installée à Clamecy dans la Nièvre, fait de la résistance : c’est l’une des dernières faïenceries qui façonne ses fèves à la main. Parmi ses modèles récents : les nœuds marins, les présidents de la République française et les mangas japonais. Plus de 500 000 fèves seront produites cette année et une partie sera expédiée aux Etats-Unis. L’entreprise familiale fournit notamment les boulangeries Maison Kayser à New York et à Washington D.C., Mademoiselle Colette à Menlo Park et à Palo Alto, et Normandie à Los Angeles.

« La fève fait partie de la tradition », témoigne Fabienne Souliès. « Certains clients commandent une galette avec quatre fèves – une pour chaque petit-enfant. Ils reviennent chaque année pour compléter leur collection. » Plus qu’une frivolité, la fève est un argument de vente pour les boulangers. Et un objet de convoitise pour les fabophiles. Les collectionneurs se réunissent chaque année à l’occasion du salon mondial qui se tient à Paris. On y échange les modèles anciens, comme le chien qui fume la pipe, réalisé au début du XXe siècle, et les modèles rares. Les fèves de la maison Pagis, qui ne sont plus fabriquées depuis la fin des années 1990, sont parmi les plus populaires. Selon Thierry Storme, l’organisateur du salon, c’est « la Rolls de la fève contemporaine ».

Une fève de collection doit être artisanale et avoir été incorporée dans une galette. Les figurines industrielles et autres sujets achetés neufs par douzaine n’ont aucune valeur. Les fabophiles privilégient les fèves publicitaires. Les modèles dessinés par Christian Lacroix, Thierry Mugler ou Inès de la Fressange pour les grands traiteurs parisiens sont très recherchés, comme celles qui portent le nom d’une petite boulangerie de quartier. Une fève de collection s’achète entre 50 centimes et 3 euros, estime Thierry Storme. « Mais un puriste pourra dépenser 300 euros pour une pièce si elle est très rare et en bon état ! »

La galette des rois contre la FDA

On compte quelques fabophiles au Japon, mais la majorité des collectionneurs sont français. En dehors des cercles francophones et francophiles, le rituel de l’Epiphanie est peu connu aux Etats-Unis. Les Américains ont d’abord été surpris par le gâteau français : certains se sont cassé une dent sur la fève, d’autres ont manqué de s’étouffer et ont porté plainte. Les fabricants fixent la dimension des fèves – entre 19 et 29 millimètres – de manière à éviter les accidents. Mais la Food & Drug Administration, l’autorité américaine de contrôle alimentaire, est inflexible: un produit destiné à être mangé ne doit pas contenir d’élément non comestible. A ce titre, les œufs Kinder Surprise ont été interdits pendant plus de vingt ans aux Etats-Unis. L’interdiction a été levée en janvier 2018. Le chocolat et le petit jouet sont désormais vendus dans deux emballages distincts.

Les boulangers-pâtissiers ont adopté une stratégie similaire. « Pour des raisons de sécurité, la fève est vendue à part », indique-t-on chez Maison Kayser. Idem chez Pitchoun à Los Angeles. Ceux qui veulent une galette « comme en France » doivent passer commande à l’avance et signent une décharge de responsabilité. Les boulangeries de la chaîne française Paul, installées à Boston et dans la région de Washington D.C., sont les rares enseignes qui s’aventurent à cacher une fève dans leurs galettes. Un dépliant explicatif est tout de même distribué à chaque client.

A la faïencerie Colas, on sourit de la prudence de la FDA américaine et on défend la tradition. « Une galette sans fève, ce n’est plus une galette des rois : c’est un gâteau à la frangipane et ça s’appelle un pithiviers. »


Article publié dans le numéro de janvier 2019 de France-AmériqueS’abonner au magazine.