« Dernière chance » pour sauver la maison provençale de James Baldwin

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Dix millions d’euros. C’est la somme qui permettrait de racheter et restaurer la bastide de l’écrivain américain James Baldwin, menacée par un projet immobilier. A Saint-Paul-de-Vence, une « activiste littéraire » ne baisse pas les bras.

Située entre Nice et Antibes, la bâtisse où James Baldwin a passé les dix-sept dernières années de sa vie fait grise mine. La façade de pierres blanches s’effrite, le toit s’affaisse, les fenêtres sont murées. Les deux aîles du bâtiment ont déjà été rasées. En contrebas du chemin du Pilon qui mène à la maison, une pelleteuse a commencé à terrasser la colline. Des camions emportent la terre ocre, le chantier est interdit au public.

L’architecte des bâtiments de France a obtenu du promoteur, Henri Chambon, qu’il préserve la maison, mais la construction doit être absorbée par un complexe de luxe qui comprend dix-neuf appartements, une salle de sport, un sauna et une piscine à débordement. « Une bastide provençale classée trône majestueusement au milieu du site », annonce une vidéo de promotion diffusée par l’agence Sotheby’s. Le quotidien Nice Matin rapporte que quatre logements, mis en vente entre un million et 2,5 millions d’euros, ont déjà été réservés.

« Le domaine a été baptisé ‘Le Jardins des Arts’, mais n’honorera pas la mémoire de James Baldwin », s’indigne Shannon Cain. « C’est le comble de l’hypocrisie. » L’écrivaine américaine, originaire de l’Arizona, centralise les efforts pour préserver le patrimoine de son « auteur favori ». Pendant dix jours en 2016, elle a squatté la maison condamnée pour sensibiliser l’opinion publique. Elle s’est installée à Saint-Paul-de-Vence en septembre dernier pour se consacrer à sa « mission » à plein temps. Avec la fille d’une amie de James Baldwin, elle anime aujourd’hui l’association Les Ami.es de la Maison Baldwin et tient un bureau d’accueil et une galerie d’art en face de l’église du village.

L’association a déjà récolté « entre 7 000 et 8 000 euros », annonce Shannon Cain, mais c’est encore loin du compte. Le groupe Socri, est en charge du développement immobilier, exige la somme de 9,9 millions d’euros pour interrompre les travaux et céder ses droits sur la propriété. « Ils n’ont pas encore coulé les fondations ; on a encore une chance ! »

Un appel aux mécènes français et américains

L’Américaine ne baisse pas les bras. Avec le soutien de l’Unesco et du ministère de la Culture, elle espère pouvoir convaincre le promoteur Henri Chambon et faire de la dernière demeure de James Baldwin une résidence d’artistes. [Ses trois demandes d’entretien sont restées sans réponse.] Forte d’une « expérience de quinze ans dans la philanthropie » aux Etats-Unis, elle dit posséder une liste de cinquante mécènes qui « donnent régulièrement des millions aux causes afro-américaines ».

Les descendants de James Baldwin, exécuteurs testamentaires de l’auteur, contestent le projet de résidence d’artistes et s’interrogent sur les motivations de Shannon Cain, qu’ils accusent d’appropriation culturelle. « James Arthur Baldwin […] n’est pas une boutique de souvenirs pour ceux qui souhaitent s’approprier son génie », écrivait en mars dernier la nièce de l’écrivain, Aisha Karefa-Smart. « L’honorer, oui. Poursuivre son travail, oui. Ecrire à sa manière, si vous voulez. Mais détourner sa contribution et prétendre être un de ses disciples pour parvenir à vos fins, non. »

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La bastide provençale où James Baldwin a vécu de 1970 à 1987 doit être absorbée par une résidence de luxe. © Sotheby’s

Malgré l’opposition des héritiers de James Baldwin, le projet de restauration de la maison de Saint-Paul-de-Vence a reçu le support de nombreuses personnalités de la communauté afro-américaine. L’essayiste féministe Rebecca Walker, fille de la romancière Alice Walker (La couleur pourpre), et Charles H.F. Davis III, directeur de recherches au Race and Equity Center à l’Université de Californie du Sud, font partie du comité pour sauver la maison. L’écrivain Thomas Chatterton Williams, installé à Paris, a publié en mars 2016 une tribune dans Le Monde intitulée « La France doit sauver la maison de James Baldwin ». Un message auquel s’est joint l’écrivaine Toni Morrison, récipiendaire du prix Nobel de littérature et amie de James Baldwin.

« D’ici quelques mois », assure Shannon Cain, l’association Les Ami.es de la Maison Baldwin sera reconnue comme organisation philanthropique. Un statut officiel qui devrait faciliter la récolte de fonds en France et aux Etats-Unis. A défaut de dix millions d’euros, l’Américaine espère pouvoir verser au promoteur immobilier un premier acompte de trente pour cent et interrompre les travaux. Les premiers appartements doivent être livrés en juin 2019, mais l’ »activiste littéraire » poursuit ses efforts pour préserver la dernière demeure de James Baldwin. « C’est un combat de longue haleine ; je n’abandonnerai pas. »

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