Le Donjon de Vez, la résidence médiévale des artistes contemporains

Dans un village de la campagne picarde, un donjon a survécu aux invasions barbares et à la Guerre de Cent Ans. Il revit aujourd’hui comme musée d’art contemporain où se côtoient les vitraux de Daniel Buren, les installations de Jean-Pierre Raynaud et les jardins du paysagiste Pascal Cribier.

En 1987, Francis et Caroline Briest sont à la recherche d’une résidence secondaire. Ils ont en tête le Midi, une maison nichée dans les collines et de grandes baies vitrées ouvertes sur la mer. Mais au cours d’un week-end en Picardie, le couple tombe sur une brochure et apprend qu’un château médiéval est à vendre dans un village voisin.

Dans un bourg de 314 âmes, à mi-chemin entre Reims et Paris, se dresse le château de Vez (prononcez « Vé »). D’abord une place forte gallo-romaine érigée face aux invasions barbares, Vez devient au Ve siècle le fief de la maison royale de Valois. En pleine Guerre de Cent Ans, le château s’adjoint un donjon, s’entoure d’épais remparts—et offre le gîte à Jeanne d’Arc. Au début de la Renaissance, le château est délaissé. Le corps de logis est démantelé et ses pierres sont utilisées pour la construction des villages environnants.

Au milieu du XIXe siècle, l’architecture médiévale connaît un regain d’intérêt et sous l’influence de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc et de Prosper Mérimée, alors inspecteur général des Monuments historiques, le domaine de Vez est restauré, puis classé en 1906.

Francis Briest est conquis. La veille bâtisse de calcaire blanc, ses tours en poivrières et son donjon crénelé ravive chez lui un vieux rêve d’étudiant. « J’ai toujours eu envie de trouver un lieu chargé d’histoire sur lequel je pourrais créer quelque chose », confesse-t-il. « Mais je suis moi-même incapable de dessiner, alors je me suis entouré d’artistes. »

Le moderne pour souligner l’ancien

Commissaire-priseur et co-président de la maison de vente Artcurial, Francis Briest fait appel à son répertoire et confie à l’architecte paysagiste Pascal Cribier la réalisation d’un jardin. Symbiose végétale de l’iconographie médiévale et du minimalisme contemporain, le résultat vaut au paysagiste de remporter en 1990 le concours pour la rénovation du jardin des Tuileries à Paris.

L’intégration d’œuvres d’art contemporaines dans le patrimoine ancien connaît alors un essor—le ministère de la Culture lance à cette époque le projet de centre d’art contemporain au Château d’Oiron (Poitou-Charentes). La résidence de vacances des Briest devient musée et les « greffes contemporaines » se poursuivent. Installer de manière pérenne des artistes vivants au château, explique le propriétaire des lieux, « permet de prolonger la vie d’un bâtiment qui a subi les affres du temps et de l’histoire. »

En 1995, l’américain Sol Lewitt est convié au château. Dans le donjon, l’artiste minimaliste peint sur les murs de la salle du rez-de-chaussée une série de formes géométriques, dont la perspective et les teintes bleues, rouges et jaunes évoquent le relief et soulignent le parquet en chevrons et les moulures de pin lambrissé de la pièce. L’osmose entre l’ancien et le moderne est parfaite.

Il y a une quinzaine d’années, au cours d’un voyage à Sienne, en Italie, Francis Briest observe dans certains édifices anciens des fresques abstraites. Quelques couleurs, quelques lignes simples pour contraster l’architecture gothique. « Je me suis aperçu que le meilleur traitement que l’on pouvait faire subir à un bâtiment comme le château », explique-t-il, « c’est justement la modestie, la simplicité des formes et des lignes. » A Vez, pierre de taille et art minimaliste coexistent et se complètent.

« Se mesurer à un lieu d’histoire »

Dès l’allée pavée qui mène au château, la porte cochère est flanquée d’un faisceau de poutrelles d’acier. Installées par Bernar Venet en 2010, 9 Lignes Obliques s’élancent vers le ciel dans la perspective du donjon. Même dialogue entre passé et présent à l’extérieur de la chapelle : posé sur un miroir d’eau, le Pot Or (1998) de Jean-Pierre Raynaud—similaire à celui qui orne le parvis du Centre Georges-Pompidou à Paris—reflète la lumière du jour. Dans le décor de remparts en ruine, le cylindre doré devient tour de garde.

Non loin de là, sur un pan de mur effondré subsistent deux cheminées. Elles chauffaient jadis le rez-de-chaussée et le premier étage de l’habitation du seigneur, démantelée à la fin du Moyen-Âge. L’artiste François Morellet y a installé une paire de néons rouges de manière à former un arc de cercle. Lorsque tombe la nuit, la courbe écarlate se reflète dans le miroir d’eau en contrebas et brise la verticalité des lignes du château. « Plus qu’installer, les artistes intègrent leurs œuvres au lieu », aime répéter Francis Briest.

Dans la chapelle du donjon, la lumière émanant du jardin projette sur le sol dallé un damier de couleurs primaires à la Piet Mondrian. Les vitraux sont signés Daniel Buren. Lorsque les deux verrières de la chapelle, bouchées au XVe siècle, ont été rouvertes en 2005, l’artiste des colonnes du Palais Royal a développé un système de filtres de couleur adhésifs pour réaliser son œuvre, Transparences et Projections colorées. Sans le vouloir, Buren jetait un pont de lumière entre le siècle des cathédrales et le XXIe siècle agnostique et redonnait sa fonction à un lieu de spiritualité. Lorsque la chapelle accueille une exposition temporaire, un même halo jaune-bleu-rouge baigne les statuettes d’Alberto Giacometti, la colonne en acier poli de Yazid Oulab ou les meubles étincelants de Philippe Hiquily—une autre manière d’ancrer les œuvres dans l’histoire du bâtiment.

En installant leurs travaux au château, « les artistes s’installent eux-mêmes », insiste Francis Briest. Les artistes gagnent une certaine notoriété et assurent en retour à leur œuvre une certaine pérennité. Un même ensemble, le château et ses œuvres vivent et grandissent désormais ensemble. « Les œuvres sont attachées au bâtiment, elles sont là pour durer. »

Renseignements :
Donjon de Vez
60117 Vez, France
(+ 33) 03 44 88 55 18
www.donjondevez.com

Article publié dans le numéro de décembre 2015 de France-Amérique.