Histoire

Lupin : la vraie histoire du collier de la reine

La série Lupin – le premier gros succès français sur Netflix aux Etats-Unis – puise son intrigue dans les romans de Maurice Leblanc et dans un scandale qui a terni la réputation de Marie-Antoinette au XVIIIe siècle : l’affaire du collier.
© Emmanuel Guimier/Netflix

L’affaire du collier de la reine, disait Mirabeau, a été le prélude de la Révolution française. Sa disparition sert aussi de point de départ à la série Lupin, disponible sur Netflix en France et aux Etats-Unis depuis le 8 janvier. Omar Sy (IntouchablesJurassic WorldX-Men: Days of Future Past) y incarne une version contemporaine du gentleman cambrioleur créé par le romancier Maurice Leblanc en 1905 : comme son alter ego littéraire, il excelle dans l’art du déguisement, de l’illusion et des tours de passe-passe.

Des talents qu’il met en œuvre dès le premier épisode pour s’immiscer dans une enchère exclusive organisée sous la grande pyramide du Louvre et dérober le fameux collier de la reine, mis à prix à 17 millions d’euros. Dans la nouvelle Le collier de la reine, publiée dans le magazine Je sais tout en avril 1906 (puis dans le recueil Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur en 1907), le jeune Arsène n’a que six ans lorsqu’il vole le célèbre bijou à son cousin, le duc de Dreux-Soubise ! Cet exploit révèle son talent pour la cambriole et lance sa carrière.

Le collier à l’origine de ces œuvres de fiction est bien réel. L’historienne Evelyne Lever, auteure d’un livre sur le sujet, décrit « un bijoux extraordinaire » de 647 diamants et 2 840 carats. Un chef-d’œuvre commandité par Louis XV pour sa maîtresse, Madame du Barry, mais qui aura bientôt la réputation d’être maudit. Le roi meurt avant la livraison et le bijou reste sur les bras de ses créateurs, les bijoutiers parisiens Charles-Auguste Boehmer et Paul Bassenge, qui se sont endettés pour réunir autant de pierres précieuses. Le joyau est invendable. « Il valait 1,6 millions de livres », explique Evelyne Lever. « A l’époque, c’était le prix de quatre châteaux en Ile-de-France, bâtiments et terres comprises ! »

Une habile supercherie

C’est alors qu’entre en scène le cardinal de Rohan. Grand aumônier de France, il est en disgrâce auprès de la reine Marie-Antoinette, qui l’a écarté de son cercle pour ses mœurs licencieuses. Soucieux de regagner sa confiance, le cardinal est prêt à tout. Dans son entourage, une pseudo-comtesse de La Motte, véritable descendante d’un fils illégitime d’Henri II de Valois, mais escroc avant tout, se prétend amie de la souveraine. Elle promet au cardinal son retour en grâce. Elle organise pour cela, le 11 août 1784, une rencontre nocturne dans le bosquet de la Reine, dans les jardins du palais de Versailles. La prétendue Marie-Antoinette réconforte le cardinal sur sa situation. Rohan est aux anges !

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Représentation exacte du collier de la reine, 1786. © Gallica/BNF

Les joailliers Boehmer et Bassenge ont proposé leur somptueux collier à Louis XVI en 1782, mais la reine l’a refusé en raison de son prix astronomique. Madame de La Motte en parle au cardinal, qui accepte de servir de prête-nom pour la souveraine, moyennant un échelonnement du paiement en quatre versements sur deux ans. Les bijoutiers sont ravis de trouver enfin acquéreur. Ils remettent le collier au cardinal le 1er février 1785, lequel le donne à Madame de La Motte… qui disparaît avec ses complices et les diamants pour les revendre à l’étranger.

Boehmer s’étonne auprès de Madame Campan, la femme de chambre de Marie-Antoinette, de ne pas avoir reçu le paiement total du bijou. L’affaire est découverte. Le 15 août 1785, avant de célébrer l’office dans la chapelle royale, Rohan est arrêté dans la galerie des Glaces au milieu des courtisans médusés. Le cardinal est jugé devant le Parlement de Paris en mai 1786. Contre toute attente, il est blanchi. Madame de La Motte et ses complices sont arrêtés et jugés. Elle sera marquée au fer rouge du « V » de voleuse.

La chute de la reine

Quoiqu’innocente, la reine fait figure de coupable. Il faut dire qu’on est en pleine crise financière : les parlementaires, comme l’ensemble des privilégiés, reprochent au roi et à son ministre des finances Calonne de vouloir instituer un impôt payable par tous, y compris les plus riches ! Ils prennent prétexte de l’affaire du collier pour salir la reine et indirectement affaiblir le gouvernement. Marie-Antoinette est grossièrement calomniée. Aux yeux du peuple, le scandale, c’est elle ! On l’accuse d’être une croqueuse de diamants et d’avoir voulu la perte du cardinal qu’elle déteste. Son impopularité est à son comble. Trois ans plus tard éclate la Révolution. Avec l’issue tragique que l’on connaît pour la reine.

Hillary Swank dans L’Affaire du collier (2001).

Il nous reste de cette incroyable escroquerie un superbe roman d’Alexandre Dumas, Le collier de la reine, qui inspirera à son tour Maurice Leblanc, un album de la bande dessinée Blake et Mortimer et plusieurs adaptations au cinéma. Le collier apparaît au cou d’Hillary Swank dans L’Affaire du collier de Charles Shyer en 2001 et, plus récemment, on le voit orner la poitrine d’une statue lors du gala du Met dans le film de cambrioleuses Ocean’s 8 !

Dans la série Lupin, le commissaire-priseur affirme que le collier de la reine a disparu « dans les méandres de la Révolution » avant de réapparaitre tour à tour entre les mains de Napoléon, en Russie, à Constantinople et dans le trésor secret du IIIe Reich ! Hypothèse plus plausible, le bijou a été dispersé, ses pierres vendues aux quatre coins de l’Europe, perdu pour toujours. Trois reproductions subsistent, toutefois : à Versailles, au château de Breteuil au sud-ouest de Paris et en Suisse, dans les affaires des descendants du joaillier Bassenge. Le mythique collier n’a jamais refait surface, mais sa légende est désormais plus vivace que jamais !