Cinéma

Madeline Fontaine, une costumière française à Hollywood

Madeline Fontaine a habillé Audrey Tautou, Astérix, Yves Saint Laurent et Jacqueline Kennedy. La costumière française, venue au métier « par hasard », a reçu le César du meilleur costume pour Un long dimanche de fiançailles (2005) et pour Séraphine (2009). Elle sera en lice dimanche pour recevoir l’Oscar des Meilleurs costumes pour le film Jackie, une production franco-américano-chilienne du réalisateur Pablo Larraín.
[button_code]
© Dave J. Hogan/Getty Images

France-Amérique : Pour le tournage de Jackie, vous avez dû recréer une dizaine de tenues d’époque. Comment se sont déroulées vos recherches ?

Madeline Fontaine : Pour Jackie, nous avons eu la chance d’avoir accès à un incroyable patrimoine de films et de photographies. L’équipe en charge de recréer la Maison-Blanche dans les studios de Saint-Denis avait déjà fait beaucoup de recherches documentaires. Avec mon équipe, je me suis intéressée à la personne de Jacqueline Kennedy, sa garde-robe et les couleurs qu’elle aimait. C’était beaucoup plus facile que pour d’autres films ou séries télévisées où il faut parcourir les musées, observer les tableaux, éplucher les livres et interroger les historiens.

Parlez-nous de la recréation du tailleur Chanel rose que portait Jackie Kennedy le jour de l’assassinat de son mari, en 1963.

Notre travail devait être extrêmement précis. Nous n’avons pas pu consulter le vêtement original [qui est conservé tel quel dans une pièce sans fenêtre aux Archives Nationales dans le Maryland, et ne sera pas visible avant 2103], mais Chanel nous a aidé. Nous avons essayé de retrouver la bonne matière, la couleur juste, les techniques de fabrication. Nous avons d’abord pensé faire refaire le tissu par la tisserande qui avait travaillé avec Chanel à l’époque, mais nous n’avions pas le temps de valider les couleurs de fil et de tisser assez de longueur pour réaliser cinq costumes. Nous avons donc recréé le lainage rose du tailleur et reproduit cette impression que le vêtement est porté loin du corps. A cette époque, la haute couture ne moulait pas comme elle le fait aujourd’hui.

Natalie Portman dans Jackie. © Fox

Vous travaillez actuellement sur la troisième saison de la série Versailles [disponible sur Netflix depuis décembre dernier]. Comment avez-vous procédé pour reconstituer les costumes du XVIIe siècle ?

Je ne fais pas un travail de reconstitution historique, mais d’interprétation. A partir de documents d’archives et de mes connaissances en histoire de l’art et en histoire du costume, j’évoque un cadre historique. Mon but n’est pas de montrer au spectateur des costumes d’époque, mais de le transporter dans l’époque et l’atmosphère du film.

Décrivez-nous des costumes de la cour.

Il existe des broderies et des soieries du XVIIe siècle, mais ce sont des pièces de musée. Nous ne pouvons évidemment pas les utiliser pour un tournage. J’essaye de transmettre les sensations, parfois même avec des matériaux anachroniques. Pour recréer les parures de soie de Versailles, j’ai utilisé des tissus modernes, des impressions et des flocages reflétant la lumière et rappelant la peau d’un animal. Mais ce n’est pas dérangeant à l’écran. La diversité des tissus disponibles aujourd’hui nous dispense d’avoir à recréer pièce par pièce des costumes anciens – ce qui serait trop coûteux.

Avez-vous un droit de regard sur la fidélité historique des productions sur lesquelles vous travaillez ?

Les scénaristes et les réalisateurs ont peur de l’histoire. Je me bats pour qu’ils appliquent les codes de l’époque. Les Américains idéalisent l’époque de Louis XIV et lui donnent un aspect doré et glamour : ils ont peur que le rendu ne soit pas moderne. Je sais que les chapeaux gênent pour éclairer les visages à l’écran, mais un couvre-chef est un couvre-chef. Si le personnage n’en porte pas, on tombe dans une autre époque. Le chapeau et la canne font partie de la panoplie du personnage masculin de l’époque. Si on les efface par peur de tomber dans le côté poussiéreux de l’histoire, on se prive de quelque chose. On s’écarte du sujet. Le vêtement est un symbole de l’époque et du milieu social. Chaque costume raconte une histoire.