La neutralité du net : un droit en France, un luxe aux Etats-Unis

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Le 14 décembre prochain, l’autorité américaine de régulation des télécommunications décidera d’abolir ou non la neutralité du net. Un principe fondamental en France, mais qui est menacé aux Etats-Unis.

Spécialiste français de l’économie numérique, installé pendant trois ans dans la région de San Francisco et auteur des livres Made in Silicon Valley : Du numérique en Amérique (2017) et Géopolitique d’Internet : Qui gouverne le monde ? (2013), David Fayon fait le point sur la question.

France-Amérique : C’est quoi au juste la neutralité du net ?

David Fayon : La neutralité du net est un principe de non-discrimination qui régit les échanges de données en ligne. Chaque individu doit avoir accès au même internet. Les fournisseurs d’accès doivent rester neutres et offrir la même bande passante à tous les acteurs du web. Ils ne peuvent accélérer la transmission de données en direction de leurs sites partenaires et ralentir ou couper le débit en direction de leurs concurrents. Selon ce principe, il n’existe pas de priorité entre la transmission d’un e-mail (quelques kilobytes) et celle d’une vidéo (plusieurs centaines de mégabytes).

Pourquoi remettre ce principe en cause ?

La neutralité du net garantit un accès égal à tous les acteurs du numérique, les gros comme les petits. Consacré en 2003 par un professeur de droit à l’université de Columbia, le principe a été adopté par de nombreux pays. Les Etats émergents défendent généralement la neutralité du net ; les pays les plus libéraux ont tendance à prôner la dérégulation. En France, la loi du 7 octobre 2016 fait d’internet un bien public fondamental, au même titre que l’eau et l’électricité. Sous l’administration Obama, l’autorité américaine de régulation des télécoms (la Federal Communications Commission, ou FCC) s’était engagée en faveur de la neutralité du net. Mais pour avantager les fournisseurs d’accès à internet — Verizon, Comcast et AT&T —, Donald Trump a nommé à la tête de la FCC un ancien cadre du groupe Verizon. C’est un enjeu politique.

Y-aurait-il un avantage à déréguler les télécommunications ?

Une dérégulation pourrait ouvrir la concurrence, ce qui permettrait de moduler le tarif des abonnements internet, qui sont excessivement chers aux Etats-Unis. En France, la dérégulation des télécommunications s’est faite indépendamment de la neutralité du net et a permis l’essor de nouveaux acteurs sur le marché, notamment Free Mobile [qui détient aujourd’hui près de 20% du marché français], et une baisse générale des tarifs.

Inversement, quelles conséquences une abolition de la neutralité du net pourrait-elle avoir pour les utilisateurs ?

Les fournisseurs d’accès à internet auront le contrôle du robinet. Ils auront la possibilité d’instaurer des priorités de service. Les clients qui auront les moyens de s’offrir un accès premium bénéficieront de davantage de bande passante et prendront l’ascendant sur les autres acteurs du web. En fin de chaîne, les particuliers et les services comme Google, Netflix ou encore iTunes seraient à la merci des fournisseurs d’accès. C’est le risque d’un internet à plusieurs vitesses. Par ailleurs, limiter l’accès à internet entraverait l’innovation et ralentirait la création d’entreprises. Le principe de neutralité a permis à des start-up d’éclore et de croître rapidement. Les entreprises eBay, Amazon, Netflix, Facebook et Uber se sont développées sur ce principe.