Objet culte

Objet culte : la montre Tank de Cartier

Clin d’œil à l’armée française, la Tank est née en 1917 d’un coup de crayon de Louis Cartier. Sa forme carrée entourée de deux brancards, son cabochon de saphir pour remontoir et son bracelet de cuir habillent depuis neuf décennies le poignet des célébrités, de Boni de Castellane à Alain Delon en passant par Truman Capote.
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Fasciné par la mécanique et l’architecture des chars d’assaut Renault apparus lors de la Première Guerre mondiale, Louis Cartier imagine une montre de luxe rappellant la carrosserie des blindés vu du dessus. Il dessine un boîtier rectiligne en or rose 18 carats pour l’habitacle du véhicule, cerné de deux brancards latéraux imitant les chenilles des tanks, auquel il ajoute deux aiguilles en acier bleui en forme de glaive, une minuterie en chemin de fer et des chiffres romains. La montre Tank est née !

Le premier prototype est offert au général John Pershing, commandant du corps expéditionnaire américain en Europe. Mais la Tank ne sera mise en vente qu’au lendemain de l’armistice, en 1919, Louis Cartier refusant de commercialiser la Tank tant que la paix ne serait pas revenue. Sobre et élégante, la Tank est à l’origine destinée aux hommes d’action. Extrêmement fine, elle fut principalement étudiée dans un souci d’ergonomie, sa finesse empêchant toute blessure et lui permettant de glisser discrètement sous la manche d’une chemise.

Mais le coup de génie stylistique de Louis Cartier fut de dissimuler les points d’attaches de la montre sous ses brancards à arêtes vives, et d’inscrire les lignes du boîtier dans celles du bracelet. A la fois objet pratique et bijou de luxe, cette montre-bracelet aux lignes pures bouscule le monde de l’horlogerie de l’époque dominé par les arrondis des montres goussets. Adoptée par Louis Cartier en personne, la Tank est la contribution personnelle du joaillier au mouvement Art déco en vogue.

La Tank fait son cinéma

Quel plus bel écrin que le cinéma pour populariser sa création ? De l’âge d’or hollywoodien à la Nouvelle Vague française, elle est de toutes les coteries. En 1926, l’acteur de cinéma muet Rudolph Valentino refuse de céder à son réalisateur George Fitzmaurice qui lui demande de retirer sa Tank lors du tournage du film Le fils du cheikh. Quarante ans plus tard, Audrey Hepburn l’arbore, avec son air mutin, dans How to Steal a Million. Steeve McQueen et sa Tank Américaine font se pâmer d’émoi les spectatrices dans L’affaire Thomas Crown (1968). Alain Delon et Sydne Rome friment avec elle dans La race des seigneurs (1974). A Puerto Rico, le 14 février 1976, lors de son séjour d’entraînement avant son combat contre Jean-Pierre Coopman, Mohamed Ali s’en offre une. Consécration pour la maison Cartier, Irving Penn immortalisera Yves Saint Laurent la montre au poignet dans un portrait réalisé à Paris, en 1983.

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Catherine Deneuve, en 1984. © J.J. Lapeyronnie/Gamma

De Chet Baker à André Malraux ou John F. Kennedy, peu de montres furent autant portées indifféremment aussi bien par les femmes que par les hommes. Dans son film Masculin, féminin, sorti en 1966, l’on peut contempler une Tank de Cartier, lovée au délicat poignet de Chantal Goya. Celle qui deviendra la chanteuse mythique que l’on connaît n’est à l’époque qu’une jeune débutante qui s’essaie au cinéma. La comédienne arbore un modèle féminin d’époque, en or jaune. Mais, la Tank existe aussi en dimensions plus imposantes. Ainsi, cette Tank Solo à quartz revêtira les avant-bras masculins, avec classe et élégance. Celle de Lady Diana fut un cadeau de son père, aujourd’hui propriété du prince William.

Si les aiguilles en forme de glaive et la minuterie en chemin de fer évoquent encore l’univers masculin de ses débuts, l’aspect général du boîtier et ses déclinaisons de plus en plus travaillées révèle une élégance toute féminine. Le modèle Tank sera décliné en une quarantaine de versions (platine, or, vermeil ou acier) : Classique pour les uns, Cintrée, Chinoise, Américaine, Française, basculante ou à guichets pour les autres, cette montre culte n’a rien à envier à ses cousines helvètes.


Gertrude Stein :
« On dira : ‘Un tank est entré chez Cartier.’ On verra surtout apparaître une montre, une forme, un style, une élégance qui, suivant une trajectoire sans pareille, va traverser le siècle, faire le pont entre des époques et inventer une manière de vivre, résolument moderne. »

Truman Capote, à un journaliste, en 1973 : « Otez cette montre affreuse de votre poignet et mettez plutôt celle-là ! » Gêné par cet élan de générosité, le journaliste tente de rendre à l’écrivain sa montre Tank, mais Truman Capote lui avoue : « Je vous en prie, gardez-la, j’en ai au moins sept à la maison ! »


Article publié dans le numéro de février 2016 de France-Amérique. S’abonner au magazine.