Objet culte

Objet culte : Shalimar, le parfum des Années folles

Elaboré en 1921 par Jacques Guerlain, ce parfum capiteux au flacon en cristal de Bacccarat répond aux fantasmes d’Orient de la France des Années folles. Emblème de la maison Guerlain, c’est le parfum le plus vendu après La Petite Robe Noire, avec 108 flacons par heure dans le monde.
© Guerlain

Il était une fois en Inde, au XVIIe siècle, une histoire d’amour entre un empereur moghol, Shah Jahan et son épouse, Mumtaz Mahal. Il fit créer pour elle les jardins de Shalimar et, après la mort de sa femme, fit bâtir en son honneur le plus beau des mausolées : le Taj Mahal. Emu par ce récit qu’un maharadjah lui aurait raconté à Paris, Jacques Guerlain, en quête d’une nouvelle création, imagina un parfum à la sensualité exacerbée : celui que le Shah Jahan aurait créé pour sa bien-aimée.

Le parfum des Années folles

En 1921, Paris vit au rythme endiablé du charleston. Cosmopolite, la capitale attire l’élite intellectuelle et artistique en quête d’insouciance. L’Orient et l’exotisme suscitent l’engouement. En quête d’un nouveau parfum ancré dans l’air du temps, Jacques Guerlain décide de recomposer les senteurs exotiques des jardins de Shalimar.

L’accord principal naît d’une impulsion : Jacques Guerlain verse de l’éthylvanilline dans un flacon de Jicky autre chef-d’œuvre de la marque à base de « guerlinade » (un composé de baumes, d’iris et de vanille), imaginé par Aimé Guerlain en 1889. Il y ajoute de puissantes notes orientales vanille, opopanax, santal, iris, benjoin, patchouli, encens et fève tonka jusqu’à l’obtention d’un parfum outrageusement poudré et animal.  Shalimar est né !

Ernest Beaux, créateur du célèbre N°5 de Chanel en 1921, s’amusera de cette alchimie radicale : « Si j’avais utilisé autant de vanille, j’aurais juste été capable de faire un sorbet ou une crème anglaise, alors que lui [Jacques Guerlain] en fit un chef-d’œuvre, Shalimar ! » Chez Guerlain, on compare le parfum à « une robe du soir outrageusement décolletée » ! Pour l’habiller, il lui fallait un écrin à la hauteur de sa démesure…

Le flacon : un écrin Art déco

L’artiste Raymond Guerlain, cousin de Jacques, conçoit un élégant flacon aux courbes évoquant les vasques des jardins orientaux. Il le couronne d’un bouchon en éventail en cristal de Baccarat bleu nuit, ornés de fils de soie et scellé à la cire. L’étiquette rappelle les motifs muraux du Taj Mahal. Fabriqué à la main dans les cristalleries de Baccarat, le flacon est une pièce de collection. Il remportera le prix de l’Exposition internationale des Arts décoratifs de 1925.

Guerlain sollicite les plus grands artistes pour lancer son parfum. Des illustrateurs tels que Cassandre, des photographes de mode comme Helmut Newton, Jean-Paul Goude, Peter Lindbergh et Patrick Demarchelier. Dans un clip de Paolo Roversi devenu culte en 2008, l’égérie russe Natalia Vodianova, filmée nue, se prélasse sur le morceau « Initials B.B. » de Serge Gainsbourg, qui chante : « Elle ne porte rien d’autre qu’un peu d’essence de Guerlain dans les cheveux. »

Près d’un siècle après sa création, le parfum fait encore des émules. A la demande de sa nièce le priant de réinventer Shalimar en l’adaptant à l’air du temps, le parfumeur attitré de Guerlain, Thierry Wasseur, s’attaque en 2011 à la sacro-sainte « guerlinade ». Il supprime la bergamote connotée fin de siècle, le jasmin aux effluves animales et le fond de cuir entêtant au profit d’un sillage plus floral qu’oriental. Rebaptisé Shalimar Parfum Initial, il dédramatise son aîné et fait perdurer le mythe…