Voyage

Saint-Barthélemy, la perle française des Caraïbes

Devenue une destination de luxe depuis que David Rockefeller y a construit une villa dans les années 1950, Saint-Barth est avant tout un morceau de France. Ce que bien des Français ignorent tant le tourisme a occulté ses origines.
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© Guirec Pouliquen/Comité territorial de tourisme de Saint-Barthélemy

« Nulle part dans nos Antilles, même dans une seule de leurs communes […], la population n’est aussi blanche, aussi française par le sang », écrivait le géographe Charles Robequain en 1949. Il est vrai que sur les 9 500 habitants de Saint-Barthélemy, la moitié descendent de colons français arrivés au XVIIe siècle.

Pour la plupart grands propriétaires fonciers, ils contrôlent les secteurs clés de l’économie, de l’aviation aux travaux publics. Certains noms français sont si communs sur l’île qu’il faut aller chercher son courrier directement à la poste de Gustavia pour qu’il ne s’égare pas. Dans l’annuaire, on recense 239 Gréaux, 122 Lédée et 79 Magras.

Tout le monde se connaît et se salue en patois − « Comment té ki va ? » − ou en créole − « Sa ou fé ? » Ces langues locales témoignent d’une époque où l’île était divisée entre la partie « au vent » et celle « sous le vent ». Entre les deux, on ne circulait pas et chaque côté a conservé son patois, en plus d’un français aux accents archaïsants. Plus âgés que la population métropolitaine, les Français de Saint-Barthélemy votent traditionnellement à droite dans l’un des quatre bureaux répartis sur le territoire.

Un rocher français et antillais

Naguère appelée Ouanalao (« Là où vivent les iguanes ») par les Amérindiens Arawak, Saint-Barthélemy fut découverte en 1493 par Christophe Colomb qui la renomma d’après son frère Bartolomeo. Un temps, elle fut la propriété des chevaliers de l’ordre de Malte. Des marins bretons et normands venus de l’île française de Saint-Christophe (aujourd’hui britannique), à 60 kilomètres de là, s’y sont ensuite installés. Boucaniers et marchands y vivaient de pêche, de commerce et de contrebande d’alcool et de cigarettes.

Cédée à la Suède en 1784, Saint-Barthélemy retourne dans le giron français en 1878 mais conserve les trois couronnes suédoises sur ses armoiries. Quelques bâtiments, le plan quadrillé du port de Gustavia et les noms des rues rappellent cette éphémère administration nordique.

Saint-Barthélemy ne mise pas sur sa créolité : son exotisme est plus international qu’afro-caribéen. Elle a été peu marquée par l’esclavage. « Nos racines sont en France, même si celle-ci nous a longtemps oubliés », explique Françoise Gréaux, écrivain local. Originaire de Saint-Barth, elle se dit « française, antillaise et fière d’être née sur ce rocher ».

David Rockefeller est le premier Américain à s’intéresser à l’île en 1957 : il s’y fait construire une villa. Les Rothschild et la jet-set new-yorkaise l’imitent. L’accès à l’île, par la mer comme par les airs, est difficile et coûteux : il faut passer par Saint-Martin, à 27 kilomètres au nord-ouest.

Un département à part

Les villages colorés en bord de mer et les plages se succèdent le long des routes sinueuses. Malgré le passage de l’ouragan Irma, en 2017, l’œil non averti verra peu de traces des dégâts causés par les vents. Misant sur ses fonds propres, l’île s’est reconstruite à une vitesse éclair.

Les hôtels sont de petite taille, dans un esprit familial. L’île se vante de proposer le meilleur de la gastronomie et de l’accueil français. Au Sand Bar, le menu a été élaboré par le célèbre chef alsacien Jean-Georges Vongerichten. Le personnel est recruté dans les meilleures écoles d’hôtellerie de métropole.

Gustavia est la seule ville de Saint-Barthélemy. Dans le quartier de Lorient, on trouve l’une des deux églises catholiques, rattachée au diocèse de Basse-Terre, en Guadeloupe. Les dernières vaches de l’île paissent sur les hauteurs de Pointe Milou, où s’alignent les résidences secondaires de style hollywoodien. « Il ne reste qu’une cinquantaine de cases typiques, recouvertes de bois ou de chaux », regrette Hélène Bernier, une habitante et fondatrice de l’association Saint-Barth Autrement, engagée pour la préservation du patrimoine.

Saint-Barthélemy a longtemps été une commune rattachée à la Guadeloupe. Elle s’en est émancipée en 2007, en obtenant le statut de collectivité d’outre-mer. Son conseil de 19 membres est présidé par Bruno Magras. Surnommé « le shérif de Saint-Barth », celui-ci insiste sur « la volonté » des habitants de « rester français, mais avec un statut spécifique ». Ici, personne ne paie d’impôt. L’île est financée par un « droit de quai » de 5 % sur les produits importés (soit quasiment tout ce qui y est consommé). En échange d’une contribution de 3 millions d’euros annuels, l’Etat français met à sa disposition quelques fonctionnaires, professeurs et policiers.

« Les enseignants viennent de Saint-Martin à Saint-Barth pour diriger des programmes bilingues, mais ils peinent à se loger car les loyers sont onéreux », explique Sylvie Pollien, directrice de l’école maternelle de Gustavia. Deux maternelles et trois primaires (deux privées, une publique) accueillent les enfants francophones. L’île dispose aussi d’un collège. Après la classe de troisième, les jeunes s’envolent pour la Guadeloupe, le Canada, les Etats-Unis ou la métropole.

« L’esprit Saint-Barth »

Les vivres arrivent de métropole par bateau ou par avion, ce qui gonfle les tarifs. Les rayons du Super U débordent de fromages AOP et offrent une impressionnante sélection de vins français. La cave à rosés regorge de bouteilles rares et le caviar, contrairement aux yaourts, est rarement en rupture de stock.

Les habitués viennent sur l’île chercher le calme et l’anonymat : si Saint-Tropez est le lieu du « bling-bling », Saint-Barthélemy est celui de l’entre-soi. Imperturbables, les Saint-Barts – c’est leur gentilé – ont pris l’habitude de croiser à la supérette l’acteur Jean Reno ou le co-fondateur de Microsoft Paul Allen. Locaux, touristes et superstars se côtoient le soir sur la terrasse du plus ancien bar de l’île, le Select. A la carte : un « Cheeseburger in Paradise », hommage au tube du crooner américain Jimmy Buffett, qui composa son album Songs from St. Somewhere en 2013 à l’hôtel Eden Rock de l’île.

En février 2018, Johnny Hallyday fut enterré dans le cimetière de Lorient, dont les croix de ciment blanc s’alignent face à la mer. Le chanteur se rendait en vacances en famille sur l’île, où il avait fait construire la villa Jade (aujourd’hui en location pour 40 000 euros la semaine) ; il n’était pas rare de le croiser chez Jojo Burger ou au club Nikki Beach. Les fans qui font le voyage laissent sur la sépulture des coquillages et galets sur lesquels ils inscrivent leur nom ou un titre de chanson.

En dépit des villas et de la densité croissante de sa population, Saint-Barthélemy a gardé sa simplicité. Dans le village de pêcheurs de Corossol, au nord, et en face de l’anse Toiny, au sud-est, subsiste une modeste activité de vannerie. Des habitantes âgées y tressent des chapeaux et paniers à partir de la paille de palmiers lataniers. Ce sont les gardiennes de « l’esprit Saint-Barth ».


Article publié dans le numéro de septembre 2018 de France-AmériqueS’abonner au magazine.