Histoire

Harlem Hellfighters, les combattants noirs américains sous l’uniforme français

Victimes de la ségrégation en vigueur dans l’armée américaine, 4 500 soldats noirs américains ont combattu sous les couleurs françaises pendant la Première Guerre mondiale. Surnommés les « Harlem Hellfighters », ces soldats ont fait preuve d’une bravoure exceptionnelle au combat. Retour sur une histoire aussi incroyable que méconnue.
Les soldats du 369e régiment d’infanterie – les « Harlem Hellfighters » – à leur retour aux Etats-Unis, le 12 février 1919. Plusieurs portent sur la poitrine la Croix de guerre française. © National Archives

« Sur l’avenue, ils dansaient le swing. Leurs sourires étaient encore plus brillants que les rayons du soleil […]. New York a en fin de compte offert un accueil digne de New York à ses héros à la peau foncée. » C’est en ces mots que le journaliste du New York Herald Tribune évoque, en 1919, la parade triomphale des 3 000 soldats noirs du 369e régiment d’infanterie de l’armée américaine le long de la Cinquième Avenue. Plusieurs millions de personnes assistaient au défilé. « Jamais les Blancs américains n’ont donné un accueil si chaleureux et sincère à un contingent d’hommes noirs […]. Les lignes raciales étaient momentanément déplacées. Le sang qu’ils avaient perdu en France était aussi rouge que celui de n’importe quelle autre personne. »

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Les soldats du 369e régiment d’infanterie paradent à New York, le 17 février 1919. © FPG/Hulton Archive/Getty Images

Cet engouement d’après-guerre contraste avec l’accueil indifférent réservé aux soldats noirs de ce 369e régiment par l’armée américaine. Deux ans auparavant, en avril 1917, le président Woodrow Wilson annonçait que tous les Américains – blancs et noirs – se devaient de participer aux combats en Europe. Pour la population noire, cette guerre devait permettre de prouver aux élites blanches son patriotisme et son courage et ainsi faire progresser leurs droits sur le sol américain. Sur les 2,3 millions de Noirs américains inscrits pour le service militaire, près de 375 000 se sont engagés, alors même que la ségrégation sévissait dans l’armée américaine. Plusieurs centaines de soldats noirs ont perdu la vie dans les camps d’entraînement du sud des Etats-Unis, abattus par des soldats blancs.

Deux cent mille soldats américains ont finalement traversé l’Atlantique. Peu ont combattu, la plupart soumis à un dur labeur dans les services de ravitaillement. La première unité de combattants noirs a été celle du 369e régiment d’infanterie, originaire de New York. Ces soldats ne combattront jamais sous le drapeau américain mais bien sous l’uniforme français. Les Etats-Unis refusaient en effet d’avoir des soldats noirs aux côtés des Blancs durant les combats. La France, manquant cruellement de soldats dans les tranchées, persuada les Américains de réquisitionner certaines de leurs troupes. Le général américain John G. Pershing, en charge des opérations militaires américaines, accepta à contrecœur.

Une bravoure reconnue par la France

Confié à l’armée française, le 369e régiment d’infanterie est souvent placé en première ligne lors des batailles sanglantes. Ce régiment est celui qui, parmi les autres unités américaines, est resté le plus longtemps au combat durant la Première Guerre mondiale. Mille cinq cents d’entre eux sont morts en France. Au front, les soldats – qui avaient comme devise God Damn, Let’s Go – se sont battus avec beaucoup de courage.

Les soldats du 369e régiment d’infanterie sur le front de l’Ouest en 1918. © Interim Archives/Getty Images

Les témoignages d’Allemands laissent à penser qu’ils étaient effrayés par la présence de ces soldats noirs au combat. A tel point que les Allemands n’osaient pas les capturer ! Durant la guerre, ils ont surnommé le 369e régiment les « Blood-Thirsty Black Men » puis « Hellfighters », devenu ensuite les « Harlem Hellfighters ». Après 191 jours de combat lors de l’offensive alliée en Champagne et dans la Marne, les soldats noirs ont été les premiers à traverser le Rhin et à entrer en Allemagne. Cinq cents Harlem Hellfighters seront par la suite décorés de la Croix de guerre française, en reconnaissance de leurs faits d’armes et de leur combativité. Parmi eux, les deux premiers Américains à avoir été décorés par la France, Henry Johnson et Needham Roberts.

L’exemplaire sergent Johnson

Henry Lincoln Johnson est sans aucun doute le plus célèbre des Harlem Hellfighters. Sur les photos d’époque, il apparaît toujours souriant, mais il a la réputation d’être redoutable au combat. Arrivé en France le 1er janvier 1918, le soldat est devenu un héros, une légende au sein de l’armée française, en particulier pour ses actes héroïques lors d’un raid allemand, le 14 mai de cette même année.

Ce jour-là, Henry Johnson et Needham Roberts, accompagnés de trois autres soldats, sont envoyés reconnaître les positions allemandes. Les deux soldats se trouvent soudainement pris sous les coups de feu et les grenades d’une vingtaine de soldats allemands. Johnson et Roberts sont blessés, mais tirent à leur tour et blessent plusieurs Allemands. Au sol, Roberts est en passe d’être capturé par l’ennemi lorsque Johnson, à court de munitions, assomme un soldat avec son fusil et poignarde deux autres assaillants. Récupérant les grenades des Allemands, Henry Johnson attaque les soldats ennemis et permet la libération de son ami Roberts. A eux deux, les soldats Johnson et Roberts auront ainsi abattu quatre ennemis et blessé vingt-huit autres. Un acte téméraire qui conduira le général américain Pershing à reconnaitre, dans un communiqué, « la bravoure et la dévotion de deux soldats de couleur ».

En 2015, Johnson est devenu le second Afro-Américain décoré de la Medal of Honor – la plus haute distinction militaire américaine –, décernée par Barack Obama lors d’une cérémonie posthume à la Maison Blanche. Les Harlem Hellfighters est l’une des unités les plus décorée de la Première Guerre mondiale, mais son influence ne s’est pas limitée aux champs de bataille. L’orchestre du 369e régiment d’infanterie a exporté en France une musique nouvelle, le jazz.


Article publié dans le numéro de mars 2014 de France-Amérique. S’abonner au magazine.