Donald Trump, l’inamovible

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Contre toute attente, le président américain continuera de mener le bal jusqu’au bout. Ses électeurs sont toujours plus enthousiastes et son opposition est paralysée.

Dans les années 1980, Ronald Reagan fut surnommé « le Président Téflon » parce qu’en dépit de ses cafouillages et de quelques scandales, rien ne semblait l’atteindre, tout glissait sur sa popularité. Trump serait-il bâti du même alliage ? Tout, en apparence, l’incrimine : ses gesticulations militaristes, ses insultes contre les Noirs, les femmes, les immigrés et les journalistes, son attitude incohérente lors des sommets de chefs d’Etat, son mépris de la justice, ses collusions financières, sa relation étrange avec Poutine. Eh bien, un tiers des Américains, ceux qui l’ont élu, sont inébranlables dans leur soutien. Un tiers, ce n’est pas une majorité, mais comme le tiers est acquis et l’opposition dispersée, Trump est difficile à détrôner.

Il faut envisager que c’est en raison même de ses incartades qu’il reste populaire : à l’encontre des prévisions — ou espérances — il n’est pas devenu un président ordinaire, il reste non présidentiel et jusqu’à la caricature, le tribun populiste qu’il fut comme candidat. Le soir de son élection, il incarnait la « revanche du mâle blanc » contre les minorités culturelles, contre les féministes, contre les progressistes, contre les mondialistes : il n’a pas varié d’un iota, imperméable au monde réel, désinformé par Fox News, sa seule source de renseignement sur le monde.

Ses électeurs, désormais constitués en fan club, toujours plus enthousiastes, adorent les frasques de leur chef : le président parle comme eux et pense comme eux, racisme inclus. Ce langage est la clé de son succès. Qui plus est, le reste du monde est si désorienté par le non-conformisme de Trump, ses mensonges et ses coups de gueule que les gouvernements occidentaux et autres en restent tétanisés : depuis un an et demi, tous balancent entre les tentatives d’amadouer le monstre — en vain — et leur incapacité à adopter une ligne commune de résistance, qu’il s’agisse de l’OTAN, du commerce, de l’Iran, de la Chine ou de la Corée du Nord. Trump mène le bal, et c’est par rapport à lui que chacun se situe.

Fan club uni

Aux Etats-Unis, l’opposition est aussi effarée et maladroite : attaquer Trump, chaque jour, sur ses mensonges et ses contradictions, son orthographe défaillante, ne fait que souder le fan club. Cette opposition, pour l’instant, n’a ni leader, ni projet, ni stratégie. Un désarroi chez les démocrates qui dynamise la gauche du parti, une gauche à peine socialiste, mais trop à gauche pour les Américains : ce qui aussi profite à Trump.

Sa popularité ne reposerait-elle pas sur les succès spectaculaires de l’économie américaine ? Certainement oui, mais en partie seulement. Une croissance annuelle qui gravite autour de 4%, un chômage en dessous de 4%, ce sont des records historiques, même aux Etats-Unis. Trump y a-t-il contribué ? Dans une économie de marché, le gouvernement a peu d’influence sur la croissance et sur l’emploi mais, à la marge, il en a : les discours de Trump, plus encore que ses actions limitées, enchantent certains entrepreneurs hostiles à toute protection de l’environnement et des salariés.

Ceux-là aiment entendre que l’Amérique renoue avec le capitalisme sauvage, avec le nationalisme économique : donc, ils recrutent et investissent un peu plus que si Trump n’était pas là. Cette prospérité économique pérennise des inégalités sociales qui, en Europe, seraient insupportables mais le fan club, qui compte beaucoup d’Américains modestes, s’en accommode : pour eux, Trump fait miroiter l’espoir de devenir milliardaires, comme lui.

Bien entendu, l’économie pourrait se retourner du jour au lendemain, comme en 2008 : les cycles, imprévisibles, caractérisent l’économie américaine. Mais soyons persuadés que, même en temps de crise, le fan club restera uni derrière Trump : il saura en faire porter la responsabilité à Wall Street et il serait trop rassurant de croire que l’économie détermine la politique.

Pouvoir de la parole

A ce seuil, et contre toute attente, Trump devrait, me semble-t-il, achever son mandat sans peine. Le rêve d’un impeachment, qui a longtemps bercé l’opposition, s’évapore ; après des mois d’enquête sur des interférences russes dans l’élection présidentielle et des transactions financières étranges dans sa famille, il n’existe pas de chef d’accusation suffisant pour démettre un président. L’impeachment requiert aussi une majorité démocrate loin d’être acquise et un acquiescement de l’opinion publique, encore moins assuré.

Pour ou contre Trump, Américains et non Américains, il nous faudra vivre avec lui quelques années de plus. Est-ce grave ? Malgré ses rodomontades, Trump n’a pas, ou pas encore, provoqué de véritables conflits, ni économiques, ni militaires, ni civils. Le monde tient le choc, la société américaine aussi, à la grande différence de ce que des leaders de cette trempe provoquèrent naguère en Europe.

Serait-ce parce que Trump n’est pas un dictateur fasciste ? Parions que s’il pouvait l’être, il le serait. Son fan club pourrait même s’en accommoder. Mais cela n’arrivera pas, en raison de la Constitution des Etats-Unis. Ce texte sacré et les institutions qui en découlent forment la véritable protection contre le trumpisme ; le fédéralisme, le Congrès, les juges, les médias, la société civile sont autant d’obstacles infranchissables serait-ce par le plus déterminé des présidents populistes. Le pouvoir du président américain est essentiellement celui de la parole : il peut mobiliser les foules par son verbe coloré, graveleux parfois, mais il lui est impossible de passer aux actes. Transgresser ces institutions ? Aucune force organisée aux Etats-Unis, armée, police, Eglise, administrations fédérales et locales, n’obéirait à un ordre illégal. Si Trump voulait être un Mussolini, il ne pourrait qu’en adopter les mimiques.

Le trumpisme illustre le fait qu’ux Etats-Unis, comme en Europe, il n’est pas aisé de trouver la juste réponse au populisme. D’où vient la défaillance des démocrates du monde entier ? Le discours populiste touche au cœur et au ventre, tandis que le vocabulaire démocratique est rationnel et abstrait. Ce constat n’exige pas de parler comme Trump, mais au moins de faire un effort de pédagogie : chez les démocrates, on en est loin. Le trumpisme invite aussi à réfléchir aux institutions : sont-elles assez fermes pour résister dans l’hypothèse d’une majorité populiste de droite ou de gauche ? En France, où l’on change de Constitution avec les saisons, doutons-en ; un Trump français serait donc plus redoutable qu’un Trump américain.

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