Histoire

Le Train de la reconnaissance, locomotive de l’entente franco-américaine

La canne du marquis de La Fayette, 49 vases en porcelaine de Sèvres, une robe de mariée en soie et les soldats de plomb d’un garçon de dix ans. Ce sont quelques-uns des objets offerts aux Etats-Unis dans le cadre d’un convoi de solidarité transatlantique organisé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale : le Train de la reconnaissance française.
Courtesy of the Consulate of France in Houston

Il y a 70 ans, le 3 février 1949, près de 200 000 New-Yorkais étaient massés le long de Broadway. Trois wagons de marchandises français remontent l’avenue. Sur leurs flancs sont peints les blasons des quarante régions françaises ainsi qu’une bande tricolore portant la mention bilingue « Train de la reconnaissance français, French Gratitude Train« . L’adjoint au maire de New York, qui assiste à la cérémonie avec le maire William O’Dwyer et l’ambassadeur français Henri Bonnet, se souviendra que « la foule était encore plus nombreuse que lors du retour mémorable de Lindbergh après son vol au-dessus de l’Atlantique ».

Le projet a vu le jour en 1947. Pour aider à la reconstruction de l’Europe, les Etats-Unis expédient cette année-là 700 wagons chargés de denrées alimentaires, de vêtements, de médicaments et de carburant. Six mille tonnes de matériel seront distribuées en France par ce Friendship Train. Le symbole inspirera un cheminot français, ancien combattant : il forme un comité national pour organiser un train similaire.

Le Train de la reconnaissance française sera composé de 49 wagons de marchandises – un par Etat américain, plus un pour la capitale fédérale. Chaque citoyen français est encouragé à donner un objet « typiquement français : de la verrerie, des cristaux, des porcelaines, des objets d’art, des coiffes et costumes des provinces françaises, des vitraux, des cloches, des articles de Paris ». Au nom de l’amitié franco-américaine, le président du conseil Robert Schumann exhorte ses concitoyens à « se dessaisir d’un objet, d’un souvenir, d’une relique ».

Douze robes et 49 poupées

Plus de 52 000 objets sont ainsi recueillis, offerts par six millions de Français. Le président Vincent Auriol donne 49 vases en porcelaine de Sèvres et la ville de Lyon douze robes de soie. Le descendant du marquis de La Fayette offre la canne de son ancêtre et les couturiers parisiens 49 poupées de plâtre représentant l’évolution de « l’élégance française » de 1706 à 1906 (elles sont aujourd’hui conservées dans les collections du Metropolitan Museum of Art de New York).

Les descendants du peintre breton Paul Sébillot cédèrent une peinture à l’huile intitulée Spring in Brittany et un petit garçon de Marseille ses petits soldats de plomb. Sont aussi expédiés aux Etats-Unis des livres, de la vaisselle et de la lingerie, un service de couverts Christofle, une copie en plâtre de La victoire de Samothrace, un carrosse ayant appartenu à Louis XV et un tricycle à moteur, plusieurs médailles de la Légion d’honneur, un clairon rescapé de la bataille de Verdun et le fragment d’un boulet de canon tiré lors de la bataille de Valmy en 1792.

Deux cent cinquante tonnes de cadeaux sont collectées. Après une cérémonie gare Saint-Lazare à Paris, le train prend la direction du Havre où il est chargé à bord du cargo Magellan. Sur sa coque, on a écrit « MERCI AMERICA » en lettres blanches de deux mètres de haut. Lorsque le navire entre dans la baie de Manhattan le 2 février 1949, il est salué par un survol d’avions à réaction de l’U.S. Air Force.

Un événement national

Une loi spécialement signée par le Congrès exonère de taxe les wagons et leur contenu symbolique ; le Train de la reconnaissance française est déchargé dans le port de Weehawken, dans le New Jersey. Le magazine Life couvre l’événement en couleurs. Trois voitures défilent le long de Broadway, les autres sont acheminées par route ou par rail vers leur destination.

Le contenu du wagon destiné à New York sera exposé pendant deux semaines dans une galerie sur Park Avenue. « Matrones en vison et ouvriers en bleu de chauffe » se pressent pour admirer les derniers romans français, un vélocipède de 1869 et un portrait de Franklin Roosevelt au point de croix, écrit le New York Times.

Le wagon du Dakota du Nord atteint Bismarck, la capitale de l’Etat, le 15 février 1949 à 9 heures. On offre les livres à la bibliothèque de l’université, les jouets aux pensionnaires d’une institution pour enfants handicapés et le tabac aux détenus du pénitencier. Le reste des cadeaux – 536 objets – sera catalogué et entreposé dans les archives du musée de l’Etat. Avec l’Arizona, le Dakota du Nord est l’un des rares Etats à avoir préservé le contenu du Train de la reconnaissance.

Le train des francophiles

Soixante-dix ans après son arrivée aux Etats-Unis, le Merci Train continue de passionner les historiens amateurs, les fanatiques du rail et les Francophiles. Dans son ouvrage Boxcar Diplomacy: Two Trains that Crossed an Ocean, qui sera publié le 2 mars prochain, Jane Sweetland s’intéresse à « la petite histoire » derrière le parcours de seize objets envoyés aux Etats-Unis dont une bonbonnière en porcelaine de Limoges et un ensemble de petites voitures Renault.

John Stevens, pilote de ligne à la retraite et passionné d’histoire ferroviaire, a entrepris de localiser les 49 wagons. Il en répertorie 43 sur son site web, MerciTrain.org : celui du Dakota du Nord est exposé devant le capitole de l’Etat, celui d’Hawaï a perdu les planches de son bardage. Les six wagons restants ont disparu. « La voiture du Connecticut a été détruite dans un incendie et celles du Massachusetts, du Nebraska et du New Jersey ont été vendues à la ferraille. On cherche encore la voiture du Colorado ! »