L’homme le plus puissant de la planète

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Qui est l’homme le plus puissant de la planète ? A cette question, il est d’usage de répondre « le président des Etats-Unis ». Dans deux mois, il reviendra très probablement à Hillary Clinton de devenir « la femme la plus puissante de la planète ». En dépit du consensus sur cette désignation, la palme devrait revenir à un juriste de 61 ans diplômé de Harvard, John G. Roberts Jr.

Nommé à son poste par George W. Bush en 2005, Roberts est le président de la Cour suprême des Etats-Unis. Conservateur mais pas trop, sa fonction lui permet d’influencer une cour composée de neuf juges nommés à vie par les présidents américains. Les décisions de la Cour suprême sont prises à la majorité de ses membres, mais l’histoire récente montre que Roberts détient souvent la clé de la décision ultime.

La Cour suprême a été créée en 1789, l’année de l’élection du premier président des Etats-Unis. Roberts est le dix-septième président de cette Cour, alors qu’Obama est le quarante-quatrième président des Etats-Unis. Les juges de la Cour suprême jouissent donc d’une longévité bien supérieure à celle de ceux qui les nomment. Par conséquent, les orientations politiques des juges peuvent ne pas coïncider avec celles du président en activité. C’est la situation de Barack Obama qui a dû s’accommoder depuis plus de sept ans d’une Cour nommée par ses prédécesseurs, certains datant même de Ronald Reagan (Anthony Kennedy siège depuis 1988).

Fréquemment, on dit aux Etats-Unis que le principal pouvoir du président américain est de nommer les juges à la Cour suprême, juges qui contrôleront ensuite ce président. L’autorité de la Cour est totale et sans appel : il lui revient, au nom de la Constitution, de valider ou non les lois essentielles que lui soumettent les plaignants. Or, la Constitution, qui a créé cette Cour, est assez flexible pour qu’elle puisse l’interpréter à sa guise, ce qui avait conduit Thomas Jefferson, troisième président, à dénoncer la Cour qui se jouait de la Constitution « comme d’une cire molle ».

Au cours des âges, la Cour suprême, se fondant sur la Constitution, a soutenu la ségrégation dans le Sud à la fin du XIXe siècle, puis l’a abolie dans les années 1950. Elle a vidé de son contenu le New Deal de Franklin D. Roosevelt au nom de la liberté contractuelle dans les années 1930, mais a autorisé l’avortement en 1960, puis le mariage homosexuel il y a deux ans. Toutefois, elle a toujours soutenu le droit de chacun à posséder des armes, en invoquant un  Deuxième amendement ambigu qui, à sa ratification en 1791, légalisait l’organisation de milices civiles.

Il en ressort que la Cour suprême, par-delà les arguments juridiques, est sensible à l’air du temps, le devançant sur l’avortement et le mariage homosexuel, ou le freinant avec le débat sur le port d’arme. Sur la durée, il apparaît que les mutations les plus significatives de la société américaine sont l’œuvre de la Cour suprême plus que du président ou du Congrès—ce qui conduit les commentateurs de gauche comme de droite à dénoncer « le gouvernement des juges ». Un des rares arguments rationnels avancés par Donald Trump contre Hillary Clinton est que, présidente, elle pourrait nommer des juges « progressistes » à la Cour et influencer durablement la société américaine, en particulier vis-à-vis du Deuxième amendement. Les associations de détenteurs d’armes, puissantes aux Etats-Unis, soutiennent Trump principalement pour cette raison.

Est-ce à dire que ce « gouvernement des juges » n’est pas démocratique, puisqu’il peut annuler des lois votées par le Congrès et approuvées par le président ? Ou, à l’inverse, se substituer aux élus du peuple pour décider à leur place ? On pourrait dénoncer ce pouvoir juridique paradoxal, mais seulement en se situant dans une perspective européenne. En Europe, un Etat choisi par les majorités électorales est supposé protéger la liberté et la sécurité des citoyens. Aux Etats-Unis, c’est presque le contraire : la Constitution et la Cour suprême qui l’interprète protègent la liberté et la sécurité de chacun contre l’Etat. Telle est la raison du caractère sacré d’une Constitution immuable, sans rapport avec les constitutions insignifiantes et variables des Etats européens—seule l’Allemagne fait exception, mais parce que les Américains l’ont inspirée, en réaction au totalitarisme. Lors de la Convention de Philadelphie de 1787, les Pères Fondateurs ont souhaité que le pouvoir central soit relativement faible et compensé par de multiples contre-pouvoirs. Une vision pessimiste de l’Etat Léviathan à laquelle les citoyens américains restent attachés.

Le 8 novembre prochain sera désigné(e) le quarante-cinquième président des Etats-Unis. En janvier, il (elle) prêtera serment devant John G. Roberts, mais le plus puissant des deux ne sera pas nécessairement celui ou celle que l’on croit.

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