Environnement

Le projet d’un ingénieur français pour rendre Los Angeles verte

Depuis seize ans, le Français Laurent Pilon travaille sur les énergies renouvelables à UCLA, l’université californienne. Originaire de Nantes, ce professeur en ingénierie mécanique et aérospatiale a récemment reçu une mission – et une subvention de trois millions de dollars de la National Science Foundation : rendre le comté de Los Angeles indépendant en énergie d’ici 2050.
[button_code]
© Walter Bibikow/Getty Images/AWL Images RM

Pour rendre la zone urbaine la plus peuplée du pays indépendante en eau et en énergie en moins de quarante ans, Laurent Pilon mise sur l’interdisciplinarité. Son programme en cinq ans rassemblera des étudiants et des professeurs provenant de différents départements de l’université et spécialisés dans différents domaines pour qu’ensemble, ils trouvent une solution au problème de la gestion de l’alimentation, de l’énergie, de l’eau et des déchets.


France-Amérique : Parlez-nous de l’aspect interdisciplinaire de votre programme. Pourquoi est-ce important ?

Laurent Pilon : Satisfaire nos besoins en nourriture, en eau et en énergie constitue un problème complexe qui englobe plusieurs domaines d’expertise. Parvenir à créer des solutions viables implique de penser de manière interdisciplinaire. Par exemple, les comportementalistes, les urbanistes et les décideurs politiques peuvent aider les scientifiques et les ingénieurs à amener les gens à utiliser les technologies qu’ils mettent au point. Les économistes ont aussi leur rôle à jouer, car le coût incite fortement au changement. Les gens commencent sérieusement à penser au réchauffement climatique et au gaspillage lorsque le prix de l’essence augmente. Dans le cadre de ce programme, les étudiants en doctorat apprendront à collaborer avec des étudiants et des professeurs qui n’appartiennent pas à leur domaine académique.

Qu’en est-il des arts libéraux ? Seront-ils aussi impliqués ?

Oui, certainement. La communication est un aspect clé et c’est pourquoi le département d’anglais lancera un programme appelé LENS ou Laboratory for Environmental Narrative Strategies [Laboratoire pour les stratégies narratives environnementales]. Ce département collaborera avec les étudiants et leur montrera comment communiquer avec les scientifiques, les ingénieurs, les industriels et leurs investisseurs, les politiciens et le grand public.

Comment pourrait-on commencer à réduire le gaspillage de nourriture, d’énergie et d’eau à Los Angeles ?

D’après certaines sources, 50 % de tous les aliments consommés aux Etats-Unis sont gaspillés et représentent 25 % de notre consommation d’eau. En Californie, nous consacrons environ 25 % de notre énergie au déplacement et au traitement de l’eau. Les manières dont nous produisons et utilisons ces ressources sont donc interconnectées et la diminution du gaspillage de l’une est souvent bénéfique aux deux autres En termes de gaspillage de nourriture, nous pourrions examiner le problème sous différents angles. Du côté des sciences comportementales, il s’agirait de s’attaquer au problème en tentant de comprendre les motifs pour lesquels les gens jettent la nourriture. Nous pourrions aussi mettre au point une technologie qui indiquerait aux gens quand les aliments sont périmés et concevoir différemment l’étiquetage alimentaire. Pas facile de s’y retrouver entre les dates limites de vente, d’utilisation et de péremption ! En termes d’énergie, nous pourrions améliorer l’efficience des bâtiments afin que les sources de gaspillage d’énergie comme la climatisation deviennent inutiles. Le transport, un autre gaspilleur d’énergie, est déjà en train de changer. Grâce aux Jeux olympiques de 2028, les transports publics vont subir une véritable révolution. L’extension du métro et le développement d’un réseau de tramway pourrait accroître l’efficacité énergétique globale de notre système de transport tout en améliorant notre qualité de vie. 

En quoi l’approche de la France et de l’Amérique diffèrent-elles par rapport au réchauffement climatique ? 

La France ayant la taille d’un Etat américain, il est difficile de comparer les deux pays. Par ailleurs, l’accès aux ressources change la façon de considérer l’énergie et son utilisation. Aux Etats-Unis, les gens occupent des emplois qui dépendent des sources d’énergie fossiles, comme le pétrole, le charbon et le gaz naturel. Comme il s’agit de sources bon marché et facilement accessibles, tout naturellement, les gens pensent : « Pourquoi ne pas l’utiliser ? »  La question ne se pose même pas en France. Nous ne possédons pas ce type de ressources naturelles. La France importe de grandes quantités de gaz et de pétrole. Le pays doit donc penser à ces ressources sous un angle différent. L’écart n’est toutefois pas aussi large si l’on compare la France et la Californie. Toutes deux accordent une grande importance à l’efficience énergétique et aux énergies propres comme l’énergie solaire et éolienne. Le décalage entre les mentalités, les comportements et la performance n’est pas aussi important.

Qu’est-ce qui peut être fait au niveau individuel pour inciter au changement ?

Aux Etats-Unis, la consommation d’énergie est excessive en raison de décisions liées au mode de vie telles que conduire de grosses voitures inefficientes ou entretenir une pelouse au milieu du désert. Il m’est arrivé d’avoir froid en été à cause de la climatisation et d’être forcé d’ouvrir la fenêtre en hiver en raison d’un chauffage excessif. Il serait tout à fait possible de maintenir une température agréable tout en gaspillant moins. Nous devons envisager, à l’échelle collective et individuelle, des façons de réduire notre consommation tout en satisfaisant nos besoins. Il n’existe pas de solution miracle en termes d’énergie. Pour instaurer des changements, les gens devront modifier leurs comportements et les scientifiques devront trouver des solutions viables. Et tous les paramètres que j’ai mentionnés devront être pris en compte.