Les Français privés de croissants ?

La presse américaine se fait l’écho de la pénurie de beurre en France. Dans les boulangeries, les croissants seraient en voie d’extinction. La galette des rois, que l’on partage en janvier, serait également menacée.

Dès qu’il s’agit des mœurs françaises, perçues depuis les Etats-Unis, il faut distinguer la réalité des fantasmes. Il est exact que les Français sont les premiers consommateurs de beurre au monde. Au petit déjeuner, en cuisine et dans la confection des viennoiseries, ils en consomment 338 000 tonnes par an — soit près de 8 kilos par an et par habitant. La consommation mondiale de beurre augmente. L’évolution des modes diététiques et l’émergence de nouveaux marchés sont en cause. Aux Etats-Unis, les graisses animales sont déclarées bonnes pour la santé après avoir été diabolisées par les diététiciens. Les Chinois, à leur tour, découvrent le beurre et les viennoiseries, perçus comme un signe d’occidentalisation et de prospérité.

En amont, cependant, la production de lait stagne. La saison 2016 fut médiocre en France et de moins en moins de paysans sont disposés au labeur de la traite, fut-elle mécanisée. En conséquence, les prix explosent. Le cours du beurre est passé de 4,30 euros par kilo en octobre 2016 à 7,20 euros.

C’est une caractéristique du mauvais fonctionnement de l’économie française : les consommateurs ne comprennent pas que les prix augmentent quand une denrée se raréfie. Les Etats-Unis acceptent la régulation du marché par les prix, mais pas la France. Le gouvernement français s’en mêle, mais c’est une question insoluble parce que les prix d’achat du lait sont fixés par les distributeurs, les grandes surfaces qui « protègent » les consommateurs avec des prix constants. Au final, les producteurs refusent de vendre leur lait à bas prix, les consommateurs n’acceptent pas la hausse des prix et de surcroît, ils stockent du beurre par crainte de la pénurie, ce qui ne fait que l’aggraver.

Cette histoire de croissants, aussi anecdotique soit-elle, révèle la rigidité de l’économie française. Cette tendance remonte au XVIIe siècle, lorsque le ministre des Finances Colbert voulait tout régenter. Quand Turgot, le ministre de Louis XVI, tenta un siècle plus tard de libérer le commerce des farines pour mettre un terme à la spéculation sur les grains, il s’en suivit la Révolution française. Macron, ces jours-ci, est confronté à la même situation que Turgot : tout libérer ou tout légiférer ?

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