Histoire

Yann Castelnot, la mémoire des vétérans amérindiens

Historien amateur installé au Québec, le Français Yann Castelnot recense les soldats autochtones qui se sont battus pour le Canada et les Etats-Unis depuis l’arrivée des Européens au XVIIe siècle. Pour son travail d’archiviste, il a reçu la Médaille du souverain pour les bénévoles et les félicitations du ministère canadien des Anciens combattants.
Yann Castelnot décoré par la gouverneure générale du Canada Julie Payette, le 6 juillet 2018. © Sgt. Johanie Maheu

154 012. C’est le nombre de combattants amérindiens recensés jusqu’à présent par Yann Castelnot. « Mais je suis encore loin du compte », souligne le Français, passionné de l’histoire des peuples natifs d’Amérique du Nord et président de l’Association de recherche des anciens combattants amérindiens (ARACA), qu’il a fondée en 2002. « Il me manque encore 350 000 noms ! »

Dans les années 1990, Yann Castelnot est adolescent lorsqu’il découvre dans un article de presse l’histoire de ces soldats autochtones, Canadiens et Américains, venus se battre dans sa région natale, la Somme, pendant la Première Guerre mondiale. Le lycéen se passionne pour le sujet. Ses premières recherches le conduisent à la Commission des sépultures du Commonwealth, qui entretient dix-huit cimetières militaires dans la région, et son équivalent aux Etats-Unis, la Commission des monuments militaires américains.

Il envoie des courriers « au hasard ». Un vétéran canadien lui répond et lui apprend que le petit-fils du chef sioux Sitting Bull, Joseph Standing Buffalo, est enterré dans le Pas-de-Calais. Engagé dans le Corps expéditionnaire canadien et blessé dans le secteur d’Arras en septembre 1918, il est décédé de ses blessure et repose désormais au cimetière militaire de la route de Bucquoy à Ficheux. Yann Castelnot a trouvé sa vocation. En parallèle de ses études de biologie marine et de son emploi dans un abattoir, il entreprend des recherches.

Un dossier par combattant

Cinq années ont été nécessaires pour établir une première liste de 1 000 noms. Pour chaque soldat, Yann Castelnot compile un dossier : photos, états de service, blessures, médailles, articles de presse, lieu de sépulture. Il s’est entretenu avec 472 vétérans, leurs proches ou leurs descendants. Parmi eux se trouve Charles Chibitty, un Comanche originaire de l’Oklahoma. Code talker pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a débarqué en Normandie le 6 juin 1944 et a été promu au grade de Chevalier de l’Ordre national du mérite en 1989.

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Charles Chibitty est au premier rang, le deuxième en partant de la droite, sur cette photo prise à Fort Benning, en Georgie, vers 1944. © Lawton, Oklahoma, Public Library

« Mes recherches se sont accélérées avec l’avènement d’internet », se souvient le Français, installé à Rivière-du-Loup, au Québec, depuis 2005. « Mais je ne me contente pas de recopier aveuglément les archives nationales. » L’historien amateur épluche et compare les registres des réserves indiennes, les effectifs des régiments et les informations du recensement – celui de 1910 pour la Première Guerre mondiale et celui de 1940 pour la Deuxième. Les recherches sont plus aisées aux Etats-Unis, où chaque individu est recensé par « race ». Ce n’est pas le cas au Canada. Le Français consulte alors les archives du « département des Affaires des Sauvages », responsable des réserves indiennes jusqu’en 1936, et du ministère des Affaires autochtones et du Nord canadien.

Des « soldats oubliés »

Les chiffres que Yann Castelnot publie sur son site internet diffèrent souvent de ceux annoncés par le gouvernement. Le terme « natif » ne recoupe pas la même réalité aux Etats-Unis et au Canada. Le Français adopte donc la définition la plus englobante possible. « Le sang du soldat ne m’intéresse pas », se défend-il. « Si je suis capable de retracer son ascendance et son appartenance à une tribu indienne, il sera inclus à ma liste. »

C’est ainsi que l’historien a reconstitué l’arbre généalogique des Sitting Down, une famille de Cherokees natifs de l’Oklahoma. Deux membres du clan, Tom et Wilson, ont combattu pendant la guerre de Sécession. Leur descendant, James Nathan Sitting Down, a été blessé en France pendant la Première Guerre Mondiale, et ses sept fils ont servi à leur tour pendant la Deuxième Guerre mondiale, la guerre de Corée et la guerre du Vietnam.

Yann Castelnot a été naturalisé canadien en 2017 – une « forme de reconnaissance » pour son travail, estime le Français. A l’avenir, il espère confier ses archives à un musée ou à une fondation. Il souhaite qu’elles puissent « continuer à grandir » et être accessibles aux vétérans amérindiens et à leurs descendants, aux historiens et au public. « A part quelques lettres et le cas unique d’un soldat de l’Alberta qui a consigné au moyen de pictogrammes les batailles auxquelles il a participé pendant la Grande Guerre, il existe très peu de traces du passage des soldats amérindiens », témoigne le Français. « C’est important de redonner à ces soldats oubliés leur place dans l’histoire. »