La police de New York, un exemple pour Paris ?

Les Européens vivent dans l’angoisse du prochain attentat. Les huit millions de New-Yorkais, non. Depuis la destruction du World Trade Center en 2001, la ville est restée une cible, mais elle est indemne grâce à sa police. Et grâce à cette police, crimes et délits ne cessent de reculer. Ce progrès de la sécurité a été amorcé, en 1994, par William Bratton. Nommé chef de la police par le maire Rudy Giuliani puis Bill de Blasio, il quittera ses fonctions en septembre.

Chef du NYPD de 1994 à 1996 puis de 2014 à 2016, ce flic-là a changé la ville. Une jungle urbaine dans les années 1970 et 1980, New York est devenue l’une des métropoles les plus sûres—sans grand discours, mais avec une doctrine, la Tolérance zéro. A son origine, on trouve un économiste de Chicago, Gary Becker. Il démontra dans les années 1970 que les criminels sont des entrepreneurs rationnels qui calculent leurs « coups » en fonction du risque encouru. Si ce risque paraît trop élevé, le criminel s’abstient.

Les sociologues James Q. Wilson et George L. Kelling prirent le relais de Becker et en dérivèrent la théorie de la “vitre cassée” (ou “Broken Window”). Accompagnant des officiers de police en patrouille dans les rue de Newark, dans le New Jersey, ils conclurent en 1982 que toute incivilité, aussi modeste soit-elle, mérite d’être sanctionnée. Il s’avère que le briseur de carreaux est souvent l’auteur d’autres méfaits et que l’exemplarité de sa sanction le dissuadera d’escalader l’échelle du crime.

Giuliani fut le premier maire à adhérer à cette Tolérance zéro et Bratton, le premier à l’appliquer. Les magistrats locaux, élus par le peuple, adhérent à la théorie : ils ne considèrent pas que les criminels sont nécessairement des victimes de la société. Bratton compléta Wilson par un repérage informatisé des lieux chauds de la ville, y déployant la police en priorité. Ce système, CompStat, est actualisé en temps réel de manière à faire le meilleur usage d’effectifs limités. Sous l’égide de CompStat, les policiers sont plus actifs dans les ghettos de New York que dans les beaux quartiers—l’inverse des métropoles d’Europe, où les ghettos sont des zones de non-droit.

En deux ans, de 1994 à 1996, la criminalité fut réduite de 18% à New York. Bratton devint un héros et l’est resté. Le succès ne s’est pas démenti. En 2015, 352 homicides furent commis dans la métropole contre 2262 en 1990. Sur la même période, le nombre de vols a diminué de 60%, et de 95% pour les automobiles. Cette tendance à la baisse s’est légèrement atténuée depuis que Bill de Blasio est maire, peut-être parce qu’à sa demande la police est devenue plus laxiste. Toutefois, on ne peut pas crier à une reprise de la criminalité, comme le fait l’opposition Républicaine. Par comparaison avec les villes européennes, les délits sont devenus moins fréquents à New York, mais les crimes par armes à feu, plus nombreux. On règle ses comptes au revolver, entre gangs, avec des armes en vente libre.

La Tolérance zéro est appliquée dans la plupart des métropoles américaines. Les critiques ? Elles ne manquent pas. Les commentateurs de gauche ne nient pas la baisse du crime, mais l’attribuent à deux raisons non policières : l’embourgeoisement des métropoles et le remplacement de la cocaïne qui « excitait » par l’héroïne qui « apaise ». Ces évolutions spontanées expliquent en partie le retournement de situation mais, sans la Tolérance zéro, le résultat serait moindre. Une critique plus sévère : les Etats-Unis détiennent le record de l’incarcération dans le monde occidental. C’est incontestable : moins les criminels sont en liberté, moins ils commettent de crimes. Faudrait-il les libérer pour autant ? La gauche Démocrate le souhaite, la majorité de la population, non.

Autre critique : la Tolérance zéro et CompStat seraient dirigés contre les Noirs. Mais la police est aux couleurs de la ville : Bratton a veillé à ce que les recrutements reflètent la composition ethnique des quartiers policés. Les Noirs seraient-ils plus souvent interceptés que les Blancs ? Les Afro-Américains, qui représentent 25% de la population de New York, comptaient pour 60% des individus arrêtés pour meurtre en 2015. La même année, les Blancs—44% de la population—comptèrent pour 6,8% des individus arrêtés pour meurtre.

Egalement caractéristique de New York est combien la stratégie policière fait l’objet de débats. Ce n’est pas le cas en Europe où l’on s’abandonne aux pouvoirs publics. Contre le terrorisme, William Bratton assurait que seuls l’infiltration et le renseignement sont utiles. Le reste, comme le déploiement de militaires dans la rue, est un théâtre qui rassure la population, mais ne dissuade pas les terroristes.